De la voiture électrique au smartphone, en passant par les éoliennes, ces métaux entrent aujourd'hui dans le processus de fabrication de nombreux produits de haute technologie. Nous ne pourrons pas tout produire avec le stock de métaux rares dont nous disposons sur la planète, sinon se sera à quel prix environnemental?
Des choix devront être faits sur cette guerre d'approvisionnement en matières premières utiles à la fois pour la transition numérique et pour développer les énergies renouvelables et sur notre positionnement et notre dépendance vis à vis de la Chine.
Sources: diverses infographies et publications de Michel Latroche
Identité
Les terres rares sont « une catégorie de métaux que l'on appelle aussi les lanthanides », explique Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS à l'institut de chimie et de matériaux de Paris Est. « Dans le tableau périodique des éléments, cela correspond à toute la série à partir du lanthane. On y associe aussi deux autres : le scandium et l'yttrium. Ce qui donne 17 métaux au total ».
Depuis leur découverte, qui s'est étalée entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XXe siècle, les terres rares « étaient plutôt des curiosités de laboratoire ». C'est à partir des années 1970 que leurs propriétés physiques exceptionnelles sont exploitées, notamment leur puissant pouvoir magnétique.
« La découverte des terres rares ont complètement révolutionné le monde des aimants », souligne Michel Latroche, Directeur de Recherche au CNRS.
Cela en fait des éléments très demandés dans de nombreux appareils électroniques : haut-parleurs, appareils d'imagerie médicale ou encore disques durs d'ordinateurs.
Histoire
Usages
« Dans les éoliennes, on trouve aussi plusieurs centaines de kilos de terres rares » sous forme d'aimants permanents, ajoute le chercheur. Ces mêmes aimants (faits d'un alliage néodyme-fer-bore) sont utilisés pour optimiser les performances des moteurs de véhicules électriques.
Les terres rares présentent des propriétés, notamment magnétiques et optiques, utilisées pour de multiples applications.
Toujours dans les voitures électriques, une autre propriété des terres rares est utilisée pour concevoir des batteries. « Les batteries NiMH, pour 'nickel-métal-hydrure' sont constituées de plusieurs kilos de terres rares, à la différence des batteries lithium-ion », explique Michel Latroche.
Les terres rares servent aussi à la dépollution automobile. On en retrouve, aux côtés d'autres métaux, dans les pots catalytiques des voitures. « Il n'y a que le cerium qui peut assurer ce rôle », précise le scientifique. Au cours du cracking du pétrole brut, les terres rares interviennent aussi sous forme de catalyseur.
« Un autre aspect des terres rares permet d'avoir des lasers dont on peut très finement ajuster les longueurs d'onde d'émission, et donc la couleur souhaitée ». C'est pour cette capacité à créer de belles nuances que l'on retrouve aussi ces métaux dans les écrans des smartphones ou les télévisions.
« D'autres applications sont possibles en ophtalmologie, en découpage, en radiographie médicale, en spectacle laser… ». Dans le secteur militaire, les terres rares sont aussi prisées pour améliorer les systèmes de guidage de missile ou les capacités de détection des sonars.
Enfin, les terres rares sont employées sous forme de poudre de polissage du verre, ou encore pour capter des neutrons dans les cycles nucléaires, énumère le chercheur.
Contrairement aux métaux rares comme le platine ou l'iridium, les terres rares « ne sont pas si rares que ça », explique Michel Latroche. « C'est aussi abondant dans la croûte terrestre que le nickel ou le cobalt ».
En 2017, les réserves étaient estimées à 120 millions de tonnes, tous oxydes de terres rares confondus.
Production
Comme le pétrole, cette ressource convoitée est au centre d'enjeux géopolitiques, la Chine concentrant la majorité de sa production. Une production d'ailleurs loin d'être neutre sur le plan environnemental.
En revanche, les gisements suffisamment importants pour être économiquement exploitables, assez peu nombreux, sont éparpillés sur la planète. « Environ la moitié des réserves se trouvent en Chine, qui est clairement avantagée en ressources », note le chercheur.
La Chine est aussi le premier producteur mondial, pour des raisons géologiques, mais surtout géopolitiques. « L'extraction des terres rares est un processus coûteux et polluant. Jusque dans les années 1990, les Etats-Unis avaient quasiment le monopole de la production, puis ils ont laissé ce marché à la Chine », analyse-t-il. « Pékin subventionne largement cette industrie, ce qui fait que personne ne peut les concurrencer aujourd'hui ».
En vingt ans, la consommation mondiale de terres rares a plus que doublé, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone, nul doute que cette tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années.
Sur ce marché stratégique, concentré entre les mains d'un seul pays, les prix peuvent vite flamber. C'est ce qui s'est passé en 2010, quand la Chine a mis en place des mesures de contrôle à l'exportation très restrictives sous forme de permis, de taxes ou de quotas, qui ont considérablement limité l'offre pour la consommation industrielle étrangère. Après une plainte de l'UE, des Etats-Unis et du Japon, l'OMC a forcé le pays à mettre fin à cette politique aux alentours de 2015.
Besoins mondiaux
Le choc psychologique de cette crise a poussé plusieurs pays à ouvrir (ou rouvrir) des sites d'extraction sur leur territoire pour ne plus dépendre de la Chine. C'est le cas des Etats-Unis, qui ont récemment relancé leur production au sein de l'important gisement de Mountain Pass en Californie, qui avait mis la clé sous la porte au début des années 2000. L'Australie a fait de même avec la mine du Mount Weld.
Malgré tout, l'Empire du Milieu garde la première place en matière d'extraction et surtout sur le plan de la transformation grâce à un tissu industriel étoffé sur toute la chaîne de production et une rentabilité très élevée, note le BRGM. Ce qui suscite régulièrement de nouveaux bras de fer commerciaux entre Pékin et Washington.
Le processus d'extraction et de raffinage des terres rares est extrêmement toxique et a des incidences directes sur la santé humaine et l'environnement. « Il faut extraire le minerai, le traiter et séparer les métaux des terres rares. Pour cela, on utilise de grosses quantités de solvants, dont certains sont toxiques », rappelle Michel Latroche.
Besoins européens
Le 28 septembre 2022 , l'Agence internationale de l'énergie (AIE) organise, à Paris, le premier Sommet international sur les métaux critiques et leur rôle dans la transition énergétique. À l'heure où le développement des énergies renouvelables s'accélère à l'échelle internationale, l'approvisionnement et la disponibilité de ces matériaux stratégiques risquent de constituer un frein.
Éoliennes, photovoltaïque, véhicules électriques, stockage, mais aussi réseaux électriques… Toutes ces filières ont d'importants besoins en métaux et connaissent déjà des goulets d'étranglement et/ou une volatilité des prix. Les alertes des acteurs de ces filières se multiplient.
« Le coût et la vitesse des transitions énergétiques dépendront fortement de la disponibilité en matériaux critiques », prévient l'AIE.
Le renforcement des réseaux électriques, pour raccorder de nouvelles installations renouvelables, pourrait être retardé en raison de pénuries de matériaux pour les câbles, les sous-stations ou les convertisseurs de puissance, alertait en juillet l'association européenne des gestionnaires de réseaux Entso-E.
En 2022, près de 2 milliards de tonnes de métal ont été consommées dans le monde.
Les batteries ont représenté 74 % de la demande en lithium et 57 % de la demande en cobalt (avec les smartphones), la production et le transport d'électricité 43 % de la demande en cuivre, les réseaux électriques 8 % de la demande mondiale en aluminium.
Si le monde entier dépend actuellement de la Chine pour l’extraction et le traitement des terres rares, cela pourrait changer dans un avenir proche, le Canada et l’Australie apparaissant comme des sites alternatifs pour l’exploitation minière.
Cela pourrait entraîner une diversification positive du marché et, à long terme, contribuer à établir de plus en plus d’étapes de la chaîne de valeur en dehors de la Chine. La demande devrait également augmenter dans tous les scénarios possibles, tout comme l’offre.
L'exploitation de nouveaux gisements a de nombreux impacts sur l'environnement. Si les efforts pour limiter les émissions de gaz à effet de serre de l'extraction ont conduit à une stabilité des émissions ces dernières années, les prélèvements en eau ont presque doublé entre 2018 et 2021. Ces activités présentent également des risques élevés de contamination des eaux, sans parler des questions sociales.
La recherche de nouveaux gisements, moins accessibles et moins riches en minerais, conduit également à une hausse des consommations énergétiques.
Face à cette course aux minerais, les risques pour l'environnement sont élevés. « Malgré la disponibilité de filières de production plus propres, il y a peu de signaux qui montrent que les utilisateurs finaux leur accordent la priorité dans leurs stratégies d'approvisionnement et leurs politiques d'investissement », regrette l'AIE.
L'alternative est de réduire les besoins en minerais. Par exemple, « la taille moyenne des batteries des voitures électriques a continué à augmenter dans quasiment tous les marchés. La tendance à privilégier les gros véhicules thermiques se reproduit sur le marché de l'électrique, ce qui entraîne une pression supplémentaire sur les chaînes d'approvisionnement en minerais », analyse l'AIE.
Est-il réellement nécessaire de mettre sur le marché des SUV électriques toujours plus imposants ?
Controverse
« Traditionnellement laxiste » sur le plan environnemental, la Chine s'est décidée à remanier ses normes et a ouvert la chasse aux exploitations minières illégales, « sous la pression de l'opinion publique » et « face à cette crise que le pays ne peut plus ignorer », souligne un rapport de l'Ifri de 2019.
La production d'une tonne de terres rares à Baotou, en Mongolie intérieure, produit simultanément 75 000 litres d'eaux usées acides et une tonne de résidus radioactifs.
« Pour certaines terres rares, des recherches sont en cours pour trouver des substituts pour les remplacer. Il y a aussi la possibilité d'en recycler. Les Japonais le font avec toutes leurs batteries NiMH issues de leurs Toyota ou leurs Honda », indique Michel Latroche.
Mais, pour le chercheur, il ne faut pas se leurrer, « tant qu'il y aura des terres rares bon marché personne ne va s'occuper des substituts "
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Eoliennes
En ce qui concerne l’énergie éolienne, les éléments de terres rares sont principalement utilisés comme matières premières pour la fabrication d’aimants permanents, qui sont utilisés dans les générateurs des éoliennes et les moteurs de traction des véhicules électriques.
Ces aimants contiennent généralement quatre éléments de terres rares différents : le néodyme, le praséodyme, le terbium et le dysprosium. Le néodyme et le praséodyme contribuent à la force magnétique, tandis que le dysprosium et le terbium améliorent la résistance à la démagnétisation, notamment à haute température.
Des progrès sont également réalisés pour réduire la teneur en terres rares dans les générateurs à aimant permanent des éoliennes. Siemens Gamesa Renewable Energy et Goldwind ont réduit la teneur en dysprosium de leurs générateurs à moins de 1 % (Wind Power Monthly, 2018).
Plus radicalement, GreenSpur Renewables a développé des prototypes de générateurs à aimant permanent à base de ferrite qui ne contiennent pas de terres rares et, après plusieurs années de tests, elle réalise les premières étapes de la commercialisation de ces prototypes (GreenSpur Renewables, 2020). Actuellement, les prototypes ont été testés avec succès pour des générateurs allant jusqu’à 12 MW, et des générateurs de 20 MW sont attendus d’ici 2022 (Snieckus, 2019).
Bien que de nombreux progrès aient été réalisés pour réduire l’utilisation des différents éléments, nous sommes encore loin de développer des aimants viables sans terres rares qui peuvent avoir des performances compétitives.
Batteries
Dans le secteur des batteries, l’Ademe précise que les terres rares ne sont pas utilisées, ou si elles le sont, c’est en très faible quantité, et parfois éventuellement en tant qu’additif. Seules les batteries nickel-métal-hydrure (NiMH) comportent un alliage de terres rares dans la cathode. Cependant, comparées aux batteries lithium-ion, elles sont coûteuses et « leur utilisation restera très marginale dans la transition énergétique" , a déclaré l’Ademe, ajoutant que les technologies photovoltaïques disponibles dans le commerce n’utilisent pas de terres rares.
Conclusion
À court terme, le moyen le plus efficace d’assurer un équilibre entre l’offre et la demande est de freiner la demande, en tirant parti du large éventail de scénarios possibles et en orientant l’avenir en conséquence.
Cela pourrait se faire en encourageant la recherche et l’innovation, en tenant compte des technologies vertes alternatives dans la réalisation des ambitions climatiques et en poussant le marché vers des produits contenant de plus petites quantités d’éléments de terres rares. Cette dernière solution est toutefois potentiellement risquée, car elle pourrait entraîner des distorsions du marché dans une activité déjà peu diversifiée.
À long terme, il reste important d’investir dans l’offre, surtout dans une perspective européenne.
Pour l’instant, l’UE n’a que peu ou pas d’accès direct aux terres rares, et le seul territoire qui devrait contribuer de manière significative à l’approvisionnement reste le Groenland (Danemark) mais au prix de quels désordres écologiques? De toute façon, toutes les opérations dans cette zone sont contrôlées par des entreprises non européennes.
Le renforcement de l’offre pourrait provenir de deux courants d’actions distincts. D’une part, l’exploration géologique et les projets miniers devraient être encouragés en respectant de drastiques contraintes écologiques., d’autre part, le développement d'un système de recyclage efficace, devrait être mis en place en investissant non seulement dans les technologies de recyclage mais aussi dans des infrastructures dédiées à la collecte, au démantèlement et à la séparation des produits contenant des terres rares.