LES INCIDENCES ÉCONOMIQUES DE L’ACTION POUR LE CLIMAT
Un rapport de mai 2023 de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz très intéressant. Une croissance verte efficace reste-t'elle possible si l'Europe multiplie les handicaps réglementaires?
L’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre est au cœur des politiques d’action pour le climat. Celles-ci vont jouer un rôle structurant pour de nombreuses politiques publiques, et ne seront soutenables que si l’ensemble de leurs implications économiques et sociales sont correctement prises en compte. C’est dire l’importance de disposer d’outils solides d’analyse et de simulations de leurs incidences économiques. C’est l’objet de ce rapport que de présenter de tels outils, ainsi que les simulations qu’ils permettent d’effectuer.
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Extrait du rapport sur le rôle de l'Europe
« Pour l’Europe, deux questions se posent avec acuité.
La première est de savoir si les objectifs de l’Union européenne sont atteignables dans le cadre des contraintes qu’elle se fixe. Dans la course qu’elle a engagée pour construire avant les autres un nouveau modèle de croissance verte, c’est-à-dire pour définir les standards de demain et établir une position forte dans les industries du futur, l’Europe prend le risque d’additionner les handicaps. Elle cumule en effet retards industriels, coût de l’énergie élevé, exposition aux fuites de carbone et volonté de ne pas s’écarter de la discipline budgétaire. Si certaines contraintes, sur les prix de l’énergie notamment, lui sont imposées par le contexte international, certaines disciplines, en particulier en matière budgétaire, résultent de ses propres décisions.
La question est aujourd’hui de savoir si face à de grands rivaux qui ne subissent pas les mêmes contraintes et ne se fixent pas les mêmes disciplines, l’Europe ne s’enferme pas dans une équation trop risquée. L’Union européenne ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire. Pour l’heure elle ne veut pas choisir avec laquelle de ces contraintes prendre des libertés, mais elle risque bientôt d’y être obligée.
Les discussions en cours sur la réforme du cadre budgétaire européen n’ouvrent pas un espace suffisant pour faire place à un financement significatif de l’investissement climat par l’endettement public. Sur insistance allemande, les dernières propositions législatives de la Commission sont en retrait des lignes directrices initiales, elles-mêmes assez timides1 . Comme on l’a dit au Chapitre 10, l’endettement public n’est pas le premier instrument de financement de la transition. Contraindre à l’excès la possibilité d’y avoir recours risque cependant de compliquer encore la tâche des décideurs publics.
La deuxième question est celle de la gouvernance de la politique climatique. Aujourd’hui l’Union fixe le cap et prescrit, mais elle laisse l’essentiel des coûts politiques et des coûts financiers correspondants à la charge des États. Par exemple, la législation européenne proscrit la mise sur le marché de voitures à moteur thermique à partir de 2035, mais la décarbonation du parc automobile existant reste largement entre les mains des gouvernements nationaux. Il en va de même pour le remplacement des vecteurs de chauffage.
Si les ambitions de l’UE en matière de climat sont claires, les résultats réels dépendront largement de l’action nationale. Or le système actuel de gouvernance repose essentiellement sur une coordination indicative, dépourvue de bâtons aussi bien que de carottes. La leçon des expériences passées (l’agenda de Lisbonne, les grandes orientations de politique économique ou la procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques) est que la coordination indicative est au mieux modérément efficace. Que se passera-t-il si les pays n’atteignent pas les objectifs visés ? Malgré les plans nationaux énergie-climat (PNEC), l’Union n’a qu’une visibilité limitée sur ce que les pays font réellement pour atteindre les objectifs de décarbonation convenus. Que se passera-t-il si les États y renoncent ? L’Europe ne peut pas se permettre d’afficher une grande stratégie climatique tout en restant dans le flou quant à sa mise en œuvre effective. Il importe qu’elle définisse et mette en place une nouvelle gouvernance climatique à la mesure de son ambition. »
Le rapport intégral: