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L’affichage politique assumé d’un choix de société universaliste

Cette publication, plus abstraite et moins pragmatique localement, fait suite à la motion proposée le 13 décembre 2023 en Conseil municipal de Périgueux sur la suppression de l’article introduit par les sénateurs qui entendait transformer l’aide médicale d’Etat (AME) en une simple aide médicale d’urgence (AMU), dans le projet de loi « immigration ». Les députés ont supprimé, il y a deux semaines, à une très grande majorité, cet article controversé et la motion présentée en Conseil n’avait plus de raison d’être, si tant est qu’elle avait sa place dans une discussion municipale.


L’intitulé de la motion m’a interpellé faisant allusion à un choix de société universaliste visant à permettre au public les plus fragiles, celui des étrangers en situation irrégulière d’accéder aux soins pour une durée d’un an (renouvelable), sous conditions de résidence et de ressources sans que cela soit assimilé à un appel d’air pour un « tourisme » médical.  


Je ne souhaite pas épiloguer sur la problématique ciblée des soins aux étrangers qui mérite de longs développements, à la fois sur l'immigration qui ne doit pas être un sujet tabou et sur les modalités de l'accueil que nous devrons réserver à ces populations, mais élargir ma réflexion à cette proposition très "socialiste" ou au moins "sociale" ou "sociétale" de société universaliste.

Est-il aussi simple d'afficher le choix d'une société universaliste pourtant plutôt bienveillant et généreux et qui devrait donc être largement partagé et non polémique ?

Ce sujet de société a été défendu brillamment ces dernières années, et cela demande de s'y intéresser, à la fois par Robert Badinter, le grand homme d'Etat spécialiste du droit universel, et son épouse Elisabeth, philosophe, femme de lettres connue pour son engagement et ses réflexions sur le féminisme, et en particulier sur la condition des femmes immigrées. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur la place de la femme dans la société. Elle est aussi une spécialiste du siècle des Lumières, ce qui rend son analyse pertinente sur l'universalisme..



 

Comment se pose, dans la société démocratique d’aujourd’hui, le problème éternel des particularismes et de l’universel ? Sommes-nous en capacité de nous assurer que l’universalisme ne saurait dévier en un outil d’oppression au service des intérêts d’un groupe dominant ?

L'universalisme en France fait référence a l’unité du genre humain et à l'idée que tous les individus, quelle que soit leur origine, leur philosophie, leur religion ou leur culture, sont égaux en droits et doivent être traités de manière équitable. C’est l’idée d’octroyer à tous les citoyens d'une même nation des règles, des valeurs, des principes communs. Cela se reflète dans les principes de la République française, tels que la laïcité, l'égalité devant la loi et la liberté d'expression.


UN PEU D’HISTOIRE


L’universalisme républicain français apparaît comme un héritage de la philosophie des Lumières de Descartes et Spinoza. C’est, au départ, l’opposition à un système caractérisé par des privilèges, des particularismes et des inégalités, pour tendre vers un État de droit pour tous les citoyens.


Historiquement, il existe une quasi-consubstantialité de la Révolution française et des principes universalistes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, puis prolongés par Napoléon 1er au travers du Code civil de1804 réglant la vie de l’ensemble des français, parfois au-delà de nos frontières puisque de nombreuses nations se sont emparées de notre droit, dans cette capacité d’inspiration et de suppression des législations particulières.  


Par la loi du 16 juin 1881 du ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, l’enseignement primaire public devient gratuit, obligatoire, puis l’année suivante, il inclut la neutralité laïque dans les établissements publics, concept largement conforté par la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Au-delà de l’école, c’est une vraie idéologie républicaine du principe d’égalité citoyenne dopée alors par la modernisation rapide de la France, le développement de la vie démocratique et le sentiment patriotique.


La colonisation elle-même conforte ce discours universaliste et mondialisé de notre République. C’est en effet au nom de l’exportation des "bienfaits" d’une France qui se veut généreuse, émancipatrice et investie d’une mission historique, que sont menées les conquêtes territoriales.


Les deux guerres mondiales du XXème siècle, et leurs conséquences, contribuent par la suite à renforcer les discours autour de l’unité nationale, de l’égalité des droits et des devoirs des citoyens. En réaction au régime de Vichy et au nazisme, la France renoue avec l’universalisme un peu oublié par l’application du programme du Conseil National de la Résistance : rétablissement de la démocratie et du suffrage universel, création de la Sécurité Sociale, lutte contre l’antisémitisme…  


De nos jours, l’universalisme vise à promouvoir l'inclusion et la diversité tout en garantissant les droits fondamentaux de chacun et semble incontournable et forcément idéaliste dans notre vision de la citoyenneté. Il suppose également que chacun, quelles que soient ses différences par rapport aux caractéristiques dominantes de la population dite « majoritaire », puisse jouir effectivement de ces droits : c’est le sens de l’interdiction de toute forme de discrimination. 

C’est aussi, dans notre société française scientifique, technique et moderne, l’ignorance des frontières de races et de peuples ; l’argent donnerai à tous les mêmes possibilités ; la forme de rationalité qui organiserait la vie économique serait ainsi accessible à tous les individus… L'argent n'est pas le seul, et de loin, moyen d'atténuer les discriminations. L'évolution de notre société, à l'image de l'acceptation de l'homosexualité, qui est quasi complètement intégrée depuis ces dernières décennies, montre que de vrais consensus se dégagent et pas seulement au sein de la jeune génération. Bien évidemment, nos sociétés vont continuer à se fragmenter sur des clivages de mode de vie (énergie, consommation de viande, usage des voitures...) mais le paramètre religieux doit être surveillé de très près car c'est celui qui reste de loin le plus exposif.


Ai niveau mondial, un bémol cependant car l’opinion publique internationale garde une image d’Epinal de la proclamation universelle des droits de l’homme, en 1948, qui reste toujours un combat sous de nombreuses latitudes. Certes, sa cause semble avoir triomphée avec l’usage et la mise en place de la Cour Pénale Internationale dès 1998.


Le détonateur fut « le 11 septembre 2001 qui marque en effet un tournant dans ce moment de communion autour des droits de l’homme ».

Comme l’a signalé en 2010, Robert Badinter, l’ancien président du Conseil Constitutionnel dans le cadre d’une conférence de l’Institut Montaigne, « il marque une chute de l’exigence occidentale vis-à-vis d’elle-même en matière de respect des droits de l’homme et c’est le moment où l’équilibre mondial est modifié par la Chine et les pays arabes. C’est en tous cas à partir de ce moment-là que l’accusation de « double standard » est proférée contre les pays occidentaux, accusés d’avoir une politique de droits de l’homme qu’ils appliquent différemment selon que les individus soient citoyens ou pas de leur pays. »


Le clivage s’est alors renforcé à l’ONU entre les occidentaux plus universalistes et les Etats qui nient l’universalisme.

Ces derniers ont commencé à utiliser deux types d’arguments pour légitimer le fait que les droits de l’homme ne soient pas applicables en leur sein : leur souveraineté (c'est le cas de la Chine), ou leur différence culturelle (c'est le cas des pays de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI)).

Dans le cas des pays islamistes, qui ont tendance à se réclamer d’une « vision révélée » des droits de l’homme, les questions de l’autorité religieuse, de l’égalité entre les hommes et les femmes, du blasphème sont reposées.

« Mais si les droits de l’homme sont ainsi régionalisés, que reste-t-il des droits de l’homme, universels et indivisibles ? », s’est interrogé alors Robert Badinter.  

 

LA DISCUSSION


Ce concept à la fois simple et complexe fait l'objet de débats, de controverses et de discussions sur la manière de le mettre en pratique au sein de la population mondiale, mais aussi nationale pour ce qui nous concerne et notamment dans notre rapport avec nos anciennes zones sous influences, en particulier africaines, que ce soit le Maghreb, l'Afrique Occidentale "française", l'Afrique Equatoriale "française" et l'Indochine.


Certains critiques affirment que l'universalisme français a tendance à nier les différences culturelles, les spécificités de chacun et à imposer une vision uniforme de la citoyenneté, ce qui peut marginaliser certaines communautés.  

Une définition d’une forme trop rigide d’universalisme a pu introduire dans les siècles précédents, et il en reste des traces encore actuellement, des frontières entre différentes composantes de l’humanité, certaines se retrouvant alors « infériorisées ». et a pu conduire à l’idée selon laquelle certaines populations indigènes n’étaient pas tout à fait « achevées dans leur humanité », d’annihiler ou de ridiculiser des traditions culturelles jugées barbares ou rétrogrades pour permettre aux membres de ces populations de devenir plus « civilisés ».

Cette déviance oppressive et raciste génère une inégalité des groupes humains et a, entre autres, servi de justification à un égalitarisme à marche forcée et à la colonisation. 

Ce concept étendu partout pour tout le monde, en effaçant tous les particularismes, pourrait être un vecteur d'inégalité, d'injustice, de privilèges d'un côté et de désavantages de l'autre.


Indépendamment de cette problématique colonisatrice, il est important de rappeler ici les angles morts de ce concept (ignorance des droits des femmes, fragilité des droits des minorités…) qui peuvent identifier l’universalisme à un outil d’oppression au service des intérêts d’un groupe dominant.


Il est donc nécessaire de distinguer le concept généreux de conquête des droits pour toutes et tous, des manières dont il est susceptible d’être dévoyé dans sa mise en œuvre.  


N'a-t-on pas tendance, encore aujourd’hui, à se réfugier derrière le paravent de l'universalisme pour ne pas regarder la diversité en face ? 

« Est-ce qu’au nom de l'universalisme, qui ne fait aucune distinction de genre, de couleur de peau, de préférence sexuelle et de religion ne se cachent pas des problèmes structurels de la société comme l'accès à l'emploi, au logement ou encore le contrôle au faciès ?

Un exemple local récent de l'étude menée entre juin et septembre 2023, sur 76 logements, sur le territoire du Grand Périgueux, a montré qu'un « homme supposé d’origine maghrébine » a presque deux fois moins de chances qu’un autre de pouvoir accéder à un logement locatif à Périgueux et alentour... Il y a encore du chemin à parcourir


L’application de cet idéal, pose un problème à l'heure actuelle. Dans la réalité concrète de nos pratiques quotidiennes, nous sommes tous ramenés à nos particularités et c'est donc de là qu'il faudrait partir » rapportait, il y a quelques mois sur France-Inter, Magali Bessone Professeure de philosophie politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Plus loin : « Ce modèle, qui a pu être porteur d'idéaux, qui a été un vecteur de droits, est aujourd'hui un modèle rigidifié, appauvri, autoritaire, un modèle qui ne remplit plus la fonction d'idéal. Au contraire, il exclut, marginalise un certain nombre de gens qui ne se reconnaissent plus dans cet idéal qui devait nous permettre d'être tous libres et égaux. »


Pour éviter le communautarisme en France, il faut inciter au contraire les groupes minoritaires, à s’intégrer dans un projet politique commun qui part des particularismes, les dépasse en s'appuyant sur la richesse de nos différences. Mais c'est un vaste challenge!

 

La délibération à l'origine de cette publication

 

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