Une formule lapidaire et assez surprenante, voire maladroite, prononcée devant la presse. Au sujet de son opposition: « La contradiction, cela ne me gêne pas, mais … en Conseil municipal ». Delphine Labails, Maire de Périgueux – Sud-Ouest – 27 avril 2024.
Formule à confronter avec ces deux citations:
« La délibération en tant que principe de gouvernement dans une démocratie implique que les décisions soient prises au travers d’un processus contradictoire et de débats conflictuels ». ROUSSELLIER N., Le Parlement de l’éloquence, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 17-19.
« À cet égard, le langage dans une démocratie peut être vu comme le premier médium de prise de décision politique et comme la manière dont la contestation et le conflit sont gérés en démocratie, à l’inverse des actions violentes ». SCHEDLER A., « Anti-Political-Establishment Parties », Party Politics, vol. 2, n°3, 1996, pp. 291-312.
Après ma publication personnelle du 22 avril sur la gestion mal anticipée de l’aménagement de la place de la Clautre, la parution de deux articles successifs, dans la Dordogne Libre le 26 avril et Sud-Ouest le 27 avril 2024, dont les propos rapportés étaient particulièrement stigmatisants à mon endroit, faisaient suite à une conférence de presse convoquée en urgence par Madame la Maire.
Les phrases de l’édile faisaient état, en substance, me citant nommément, « Michel Cadet ... représente un danger pour la démocratie et colporte des thèses proches de celles du Rassemblement National ». Elle pointait également, agacée, le seul lieu possible, selon elle, de débat pour l’opposition : l’enceinte du Conseil municipal… Diantre, pas moins que cela ! Fébrilité, affolement ou esquive du débat ?
Tout débute, quelques jours avant, par une sollicitation des habitants et des commerçants de la rue Taillefer et de place de La Clautre, qui interpellent l’élu que je suis, car réellement inquiets du risque de décalage et de rallongement des travaux, de la non possibilité d’utilisation de la place durant l’été prochain et du retard prévisible du retour du marché in-situ, tout cela en raison de fouilles archéologiques mal anticipées.
« Lancer des fouilles ou renoncer …»* avait dit fin 2023, Hervé Gaillard, le spécialiste de l'archéologie, suite au diagnostic réalisé du 11 au 26 septembre 2023, mettant en évidence sur trois zones préalables de fouilles: un cimetière avec des traces funéraires s'étalant du IVème au XIVème siècle, poétiquement appelé par lui « l’épaisseur du temps », des restes d'un mur d'un probable mausolée et des vestiges d'une sépulture en pleine terre. Des fouilles plus poussées étaient donc attendues en ce début de printemps. Pour mémoire les fouilles pour creuser la piscine Bertran de Born avaient couté... 430 000 euros à l'époque. *Hervé Gaillard - Archéologue SRA DRAC - Dordogne Libre - 30 septembre 2023
Il est bien du mandat des élus que de se faire le relai des inquiétudes, lorsqu'elles sont fondées, de nos habitants, ce d’autant que nous avions déjà alerté il y a plus de six mois déjà du risque de fouilles très couteuses compte tenu de l’ampleur des travaux projetés, travaux risquant de grever, une fois de plus, le budget prévisionnel*.
*Publication du 18 octobre 2023: https://www.michelcadet.fr/post/mille-jours-auront-suffi-%C3%A0-d%C3%A9grader-les-finances-de-la-ville
Factuellement, aujourd’hui, cela va entrainer soit le renoncement au projet initial et son redimensionnement, ce qui semble tenir la corde avec le remblai d’une chappe de béton de 25 cm d’épaisseur sur cette place… soit va nécessiter des mois supplémentaires de travaux, même si une partie a déjà été fouillé, et une rallonge budgétaire conséquente pour les réaliser, finances quasiment impossibles à mobiliser dans un contexte d’investissements tous azimuts de la ville à hauteur de 27 millions en 2024.
C’est donc bien l'attribution d’un élu mobilisé de la ville, de surcroit vice-président de la commission des finances, que d’alerter quand la situation lui semble préoccupante. Il faut cependant éviter d’être trop schématique : le rôle de l’opposition n’est pas défini comme étant le contrepied systématique de la majorité en place, car, ici à Périgueux, nous savons voter à l’unanimité, avec l’ensemble des autres élus, environ 90% des délibérations qui nous sont proposées. Notre fonction première, durant six ans, n’est pas de préparer une équipe alternative mais bien celui d’avoir comme objectif premier la transmission des préoccupations des populations, l’utilisation des règles disponibles afin de s’assurer que la majorité qu’elle critique soit responsable et justifie ses actions devant les habitants dans une transparence et un équilibre de ses politiques. Nous pouvons également choisir de collaborer avec cette dernière pour réformer certaines politiques publiques.
Alléguer d’un « procédé dangereux pour la démocratie qui jette l’opprobre sur la Maire et les élus en responsabilité, dans un contexte de montée des nationalismes » équivaut à taxer le conseiller municipal de populiste, de dangereux opportuniste, de colporteur de « thèses proches de celles de mouvements nationalistes », pourquoi pas d’élu conspirationniste?
L’affaire aurait pu en rester à des simples échanges par journaux interposés, compte tenu de l’absence de Conseil Municipal proche, comme il est souvent d’usage dans ces numéros de duettistes dont les médias sont friands. Mais, cela ne semblait pas suffisant et un pas supplémentaire a été franchi : celui de convoquer l’élu d’opposition dans le bureau de la Maire le 26/04/24 au matin, entre les deux publications dans la presse, « invitation » sans ordre du jour préalable, à laquelle, je me suis pourtant rendu de bonne grâce, pour un entretien, certes relativement courtois, mais qui reste assez inhabituel dans une municipalité et qui interroge sur sa légitimité républicaine.
Que ne se serait-il pas passé si, imaginons quelques secondes... Antoine Audi, lors du précédent mandat avait convoqué la Maire actuelle, son ancienne opposante d’alors, pour l'alerter sur son mode de fonctionnement à l'heure où celle-ci saisissait le Tribunal Administratif contre l'aménagement Montaigne. Je n’ose imaginer les cris d’indignation et les alertes médiatiques critiquant une atteinte choquante à la démocratie, aisément stigmatisée comme une dérive obligée d’une "droite" trop autoritaire ... Mais là, il semble là, que ce soit la gauche qui nous surprenne!
L’entretien qui s’est déroulé en présence de deux autres personnes (un administratif chargé de prendre des notes (?) et un élu positionné dans le rôle de « sage »), s’est avéré être un rappel à l’ordre, une leçon de civisme et une alerte contre mon mode de fonctionnement qui lui semblait sortir de « l’arc républicain ». Avec le recul et la publication de Sud-Ouest le lendemain, cette démarche pourrait être assimilée à une manœuvre d’intimidation, assez maladroite et assez préoccupante mais significative de l’état d’esprit qui règne dans cette équipe et sur sa réelle acceptation du fait démocratique.
Pour répondre à cette vision normative et étroite; non, le Conseil municipal n’est pas le seul lieu fondé d’opposition ; non, les questions écrites et le vote des délibérations ne sont pas les seuls moyens de faire entendre ses idées ; oui d’autres outils sont possibles en démocratie : les échanges participatifs avec les habitants, la rencontre des commerçants, artisans ou entrepreneurs, l’écoute des représentants de la population dans les conseils d’arrondissements ou d’école, l’écriture d’articles sur des blogs, la communication sur les réseaux, la publication d’une tribune d’expression libre dans le magazine municipal, la diffusion de tracts, l’interview auprès des médias ou la conférence de presse, la participation à une grève ou à une manifestation, l’initiative d’une pétition ou d’une votation citoyenne tels qu’inscrits dans notre Règlement Intérieur… C’est aussi dans des cas litigieux l’interpellation du préfet comme nous l’avons fait durant ce mandat à de nombreuses reprises, ou la saisine du Tribunal Administratif, comme l’actuelle Maire l’a fait lors du mandat précédent.
C’est le travail des opposants durant une mandature, celui de la recherche permanente d’informations, de la lecture des lois, de l’étude des règlements, des rapports, de l’examen minutieux des comptes-rendus de la Chambre Régionale des Comptes, de la comparaison méthodique avec les villes voisines ou de la même strate… Un travail parfois ingrat, parfois frustrant, souvent formateur, toujours éclairant pour étayer sa conviction personnelle et toujours utile au débat démocratique, parfois permettant de changer une décision ou, en tous cas, de modifier un projet.
De plus en tant qu’habitant, ne suis-je pas libre de m’exprimer sur la vie de la cité, y compris dans un blog politique même non complaisant avec l’équipe en place ?
La démocratie ne se décrète pas quand on est au pouvoir, elle se pratique au quotidien, y compris avec son opposition.
« L’opposition se trouve sous une forme ou une autre dans toute communauté politique et une communauté politique n’existe que dans la mesure où l’opposition est présente sous une forme ou une autre ». ZELLENTIN G., « Form and Function of the Opposition in the European Communities », Government and Opposition, vol. 2, n°3, 1967, p. 416-435.
Pour étayer mon propos, et même si je ne le fais pas d'habitude, je vous joins, ci-dessous, les articles de presse me concernant.
Ma publication en cause du 22 avril
Article Dordogne Libre - 26 avril 2024 - La première page...
Vous avez échappé à cela, page 6 de la DL:
"La maire met les points sur les "i"" simple formule de journaliste ou suggestion d'une leçon magistrale d'une maitresse d'école, qu'il aurait été facile pourtant de caricaturer dans une polémique trop aisée sur les réseaux, à la place d'un long discours plus construit sur le rôle de l'opposition...
J'aurais pu dire, les "i" de cet interview, sont des "i" inappropriés et citer une longue litanie de "i" circonstanciés, ceux d'investissements incorrects, improvisés, inaboutis, incohérents, inadaptés voire inconséquents, ceux d'une illusion, ceux imposés de l'INRAP... Le jeu démagogique pouvait durer longtemps. Mais la Maire n'est pas enseignante et nous ne sommes pas ses élèves. La leçon est terminée... du moins pour aujourd'hui!
Article Dordogne Libre - 26 avril 2024 - L'article.
Article Sud-Ouest 27 avril 2024
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