Conseil Municipal du 08 décembre 2021 - Délibération sur la vente de l’ancienne crèche Mercier
Madame la Maire, mes Cher(e)s collègues,
Nous ferons une intervention à deux voix, j’évoquerais le fond, de manière un peu longue, et Madame Natacha MAYAUD pourra, dès que Madame la Maire lui donnera la parole, évoquer la forme de cette délibération.
Je profite de cette intervention pour vous interpeller collectivement, et sans aucune polémique, sur le dossier de l’ex crèche Mercier et attirer l’attention, de manière plus générale sur l’importance des actes municipaux, touchant à notre patrimoine commun, public ou privé, qui sont des actes définitifs, positifs ou négatifs, mais souvent irréversibles, que ce soient des cessions de biens ou des transformations de l’espace public.
Je ne fais pas mon exposé dans l’ordre chronologique pour la clarté de ma démonstration, mais mon propos embrasse, de fait, plusieurs mandatures, de droite ou de gauche.
Votre Municipalité, Madame la Maire, a réussi à trouver un acquéreur pour l’ancien centre aéré de la Daudie ; c’est une décision patrimoniale très importante car elle concerne 23 hectares de terrains appartenant à la ville dont 4.5 sont constructibles. Il faut s’assurer qu’aucune autre destination collective n’ait été trouvée et que le prix soit juste. Vous envisagez d’acheter des terrains, des bâtiments, de construire des serres pour une ferme urbaine au Gour de l’Arche et cet investissement patrimonial est bien fléché dans votre projet de mandat : il semble difficile de s’y opposer.
Notre vigilance doit rester en éveil lors de la vente, par exemple, d’un patrimoine d’Etat exceptionnel, en cœur de ville, même si ce dernier ne nous appartient pas : la Banque de France ou celle de terrains privés à Domo France pour des constructions de logements de façon à que la destination de ses biens et l’intérêt économique, touristique ou écologique qu’ils pourraient offrir aux habitants soient bien pris en compte.
Il y a 20 ans, Xavier DARCOS a porté, d’abord comme adjoint, puis en tant que Maire, le projet du Musée Vesunna que chacun depuis considère comme une réussite car il a protégé et mis en valeur notre patrimoine gallo-romain, incontournable pour notre attractivité.
Antoine AUDI, a eu une vision économique, que je partage complètement, de dynamisation du centre-ville en souhaitant attirer de nouvelles enseignes de tailles moyennes, mais qui pouvait ou pourrait peut-être encore faire changer de mains, une partie du patrimoine de la ville (6 500 m² cédés à un privé). A ce propos, une information actualisée des élus sur le devenir de cet espace Montaigne serait nécessaire. Sa municipalité a, avec une vraie réussite, transformé notre patrimoine sur plusieurs axes et places de la ville et ce pour plusieurs décennies (Places Magne, ancien Hôtel de Ville, André Maurois, boulevards…) et osé le pari risqué de vendre les bâtiments d’une ancienne école maternelle de quartier pour permettre l’ouverture d’un nouveau centre médical privé pluridisciplinaire et opérationnel.
Malgré les sévères et injustes critiques à l’époque, y compris dans nos rangs, Michel MOYRAND, a réussi le transfert des services de l’ancienne Mairie dans un bâtiment agréable, fonctionnel, plus sécuritaire que l’ancien et, si on considère, l’amortissement de cette dépense sur un siècle, cela a été, de mon point de vue, une réussite patrimoniale que chacun de ses successeurs a d’ailleurs pu apprécier. Il a été, en 2010, moins inspiré, en cédant les 8 000 m² du parc de Castel-Peyssard, propriété de la ville depuis 1952, réduisant d’un tiers l’ensemble qu’aurait pu constituer à nouveau cet espace arboré de Gamenson avec ses potentiels 23 000 m² au service des habitants.
Certes nous sommes une ville à la campagne mais chaque famille sait bien le rôle social, ludique et convivial d’un grand parc de centre-ville. Ce fut une occasion ratée et irréversible de réunifier cet espace. L’idée attrayante de ce grand parc avait déjà existé au début du XXème siècle, à l’époque du Palais Episcopal : Castel-Peyssard était alors la résidence privée de l’Evêque, attenante à l’évêché, qui lui, était situé dans la Maison Gamenson, au 30 rue Bacharétie avec son orangerie, son écurie, sa conciergerie et son jardin planté d’arbres et agrémenté de pièces d’eau et de volières. Par suite du départ de Périgueux, quelques années plus tôt, de Monseigneur DELAMAIRE, le fameux évêque « social » qui deviendra Archevêque de Cambrai, le Parc Gamenson, site qui nous préoccupe aujourd’hui, a été acquis par la ville, auprès de l’Administration des Domaines, le 20 septembre 1912 (Délibération du Conseil Municipal du 30-10-1911). Le Conseil municipal de l’époque avait souhaité y installer une annexe du musée et transformer le parc en jardin public. Le jardin public exista alors, mais d’annexe il n’y en eu point et il fallut attendre 7 ans et la donation de Monsieur Gaston MERCIER, négociant rue de la République et Conseiller Général du canton de Périgueux, qui, en mémoire de la perte douloureuse de son fils unique, Jean, mort au champ d’honneur le 24 mai 1918 (à Mont Val Bella en Italie, lors de la Grande Guerre), fit une donation de 100 000 francs, à la condition unique que ce vaste bâtiment serve toujours aux enfants. Cela se concrétisa dès le 06 novembre 1919 sous l’égide du Comité de l’Union des Femmes de France de Périgueux, qui en fit la première pouponnière qui pris le nom de « Jean Mercier », plus tard elle sera gérée par la Croix-Rouge.
Ce parc est devenu avec ses statues d’hommes de lettres célèbres, ses arbres centenaires, son Théâtre de la Nature pouvant accueillir 3 000 spectateurs et sa scène couverte, un lieu incontournable festif, social, évènementiel, de retransmission de rencontres sportives… bref un lieu vivant de partage.
Il n’y a, à ce jour, aucune urgence à céder ces deux parcelles du Parc cadastrées BM 139 et 140, totalisant 1 280 m², car leur emplacement les rendra toujours attractives pour un investisseur. De plus, pour satisfaire, si c’est là l’objectif, la demande d’appartements plus cossus, c’est tout l’espace à ré aménager de la Clinique du Parc très proche qui va se libérer prochainement. Ce ne sont pas les bâtiments en tant que tels que l’on va vendre, mais une parcelle supplémentaire du Parc Gamenson, certes pour 700 000 euros… Une très belle somme, mais cette vente de notre patrimoine sera ensuite définitive et vous n’avez pas été élus pour cela… Elle ne figurait dans aucun de vos ni de nos projets initiaux.
Cette recette financière immédiate, bien sûr, servirait à porter d’autres projets de mandat ou, pourquoi pas, permettrait la réduction de la dette ou des impôts locaux trop élevés dans notre ville. C’est compréhensible et tentant mais nous devons, collectivement, prendre de la hauteur sur l’articulation de nos projets successifs dans le cadre de la continuité républicaine, tout en y intégrant la part environnementale dorénavant incontournable. C’est une affaire de choix stratégique et non d’opportunité financière et cela mérite d’être posé comme tel.
J’en suis désolé, Madame Marchand, car oui, ces deux ventes étaient deux très bonnes nouvelles pour ce Conseil et en cette fin d’année. Le risque est que morceau par morceau nous actions une vente à la découpe du peu de terrains libres ou disponibles et amputions l’héritage des générations suivantes.
Prochainement, les bâtiments attenants de la Maison de l’Emploi et de la Mission Locale de l’Agglomération, avec leurs 2 750 m² seront aussi disponibles car les services migreront vers le Pôle Aliénor dans le Grand Quartier de la Gare. Quid du devenir de ce nouvel espace contigu au Parc qui aurait pu accueillir par exemple, du fait de sa situation proche des autres établissements scolaires, le Master de Design Rural de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, initialement prévue à la SEITA ?
De même, les services d’entretien des espaces verts occupent 2 300 m² sur les 15 000 m² du site. Un autre emplacement ne serait-il pas plus judicieux ? Nous sommes à deux pas des Allées dessinées par l’Intendant Tourny qui mériteraient mieux que de rester un simple parking…
Nous devrions, vous devriez, formaliser un vrai projet d’ensemble du Parc et de ses abords, même s’il est situé pour partie hors de l’AVAP* et le soumettre à nos concitoyens, dans ces conseils d’arrondissements que vous venez de créer. Ce serait de réels espaces de discussion qui leur permettraient de s’emparer d’un vrai premier sujet important qui touche à leur vie quotidienne, celle de leurs enfants et qui dessinerait la ville de demain, comme vous vous y étiez engagée.
Ainsi sous six mois, les potentiels acquéreurs auraient une réponse collective des habitants et une vraie décision municipale politique opposable à tous. Ce lieu doit de toute façon respecter la volonté du donateur : être destiné aux jeunes. C’est notre engagement moral, par-delà les générations et les mandats, au même titre que l’engagement inaliénable que la place Francheville ne soit jamais construite, de veiller à respecter les conditions de cette donation et de faire vérifier par des juristes les actes de cette époque pour éviter d’invalider toute décision.
Compte tenu de la surface, je me permets une suggestion parmi d’autres possibles : la Maison des Jeunes et des Etudiants. Elle toucherait 10 000 jeunes et remplirait les missions du CIJ et proposerait une aide au logement, aux jobs d’été, au service civique, au transport en commun, aux études en général, à la prévention, un lieu de rencontre convivial, quelques chambres d’hébergement temporaires, une mise à disposition d’équipements connectées, une guinguette champêtre l’été ouverte à tous favorisant la mixité générationnelle, un « back-stage » du service événementiel utile lors de la préparation des concerts… Cela resterait dans le giron municipal, conforme à la donation et cohérent avec une implantation sur le pourtour du Parc, proche des Etablissements scolaires, comme l’est la Bibliothèque Municipale.
Vous l’avez compris, je suis, comme vous tous certainement, viscéralement attaché à la protection de notre patrimoine pour les générations futures mais aussi à ne pas méconnaitre une opportunité qui transformerait durablement notre ville pour les décennies suivantes. Ici, ce n’est pas le bâti mais cet emplacement qui est exceptionnel.
Dans le cas présent, je vous demande, solennellement, après avoir écouté mes arguments, de surseoir à la vente de ce bien immobilier ouvert sur le Parc Gamenson, de vérifier les contraintes juridiques de la donation et de solliciter l’avis des habitants.
Par l’expérience de ce début de mandature… je crains d’avoir peu de chance d’être entendu mais si mon analyse peut vous amener à vous interroger, nous nous grandirions collectivement en retirant aujourd’hui cette délibération non urgente. Il ne s’agirait pas d’un reniement mais d’une pause. Osons faire confiance à la clairvoyance de nos concitoyens !
Je vous remercie de votre écoute attentive.
*Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine
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