Cette publication va forcément susciter des controverses tant les chiffres sont peu accessibles voire cachés... La santé est devenu un bateau ivre avec, entre autres, d'importantes masses financières nouvelles et des mesures de défiscalisations attractives mais inégalitaires! En tant que professionnel de la santé, il m'a semblé intéressant, à l'heure où on nous abreuve régulièrement de RPS (risques psycho-sociaux), de stress professionnel et de burn-out, de décortiquer cette nouvelle pratique "hublo" pour mieux identifier ses travers. Mon propos ne vise pas à cibler les personnels qui cherchent à améliorer leurs fins de mois, mais ce mode de fonctionnement administratif complètement déraisonnable.
Interim "Hublo": une infirmière diplômée d'Etat volontaire peut augmenter son salaire mensuel en travaillant deux nuits supplémentaires par mois à l'hôpital public pour un supplément appréciable de 1 400 euros brut, non imposable. C'est aussi le cas des brancardiers, des assistants de régulation du Centre 15, des manipulateurs radio, des sages-femmes, des puéricultrices, des agents de soins en EHPAD mais pas des secrétaires et des autres ASH...
L'occasion d'évoquer, ici, ce nouveau fonctionnement hospitalier, peu connu du grand public, qui semble pour le moins surprenant sinon critiquable. En effet il provoque déjà des inégalités de salaires, va entrainer des tensions sociales avec très rapidement un épuisement des personnels, génère un traitement social inégal des professionnels de santé. Par ailleurs, il peut susciter des interrogations légitimes sur la sécurité des patients face à ces professionnel (les) forcément surmené(e)s.
C'est, pour réparer l'incurie et le défaut d'anticipation de générations de penseurs technocratiques de "l'excellence du modèle de santé à la française", l'invention opportune durant la pandémie d'un stakhanovisme effréné, système bien connu dans d'autres pays à d'autres époques, avec l'alibi trompeur de "travailler plus pour gagner plus" . Affligeant d'en être arrivé là et consternant d'observer cette fuite en avant! Mais que font les syndicats?
La situation complexifie la position officielle des syndicats d'agents hospitaliers écartelés entre un gain supplémentaire bienvenu pour leurs personnels longtemps sous-payés, même si des réévaluations ont eu lieu ces dernières années, et le risque d'épuisement des agents générant des problématiques pour leur propre santé et des arrêts de travail impactant par "effet domino" les autres salariés dans un secteur déjà fortement sous tension.
Une plateforme
"HUBLO", n’est pas une agence d’intérim, mais une plateforme qui permet aux établissements de santé d’organiser en ligne leurs réseaux de remplaçants. Les établissements souscrivent à un abonnement pour utiliser l'application, et être ainsi en mesure de solliciter leur réseau de remplaçants dès qu’ils en ont besoin.
Contrairement aux agences d’intérim, Hublo n’emploie donc aucun professionnel de santé, et ne décide pas de leurs missions. Ce sont les établissements qui choisissent eux-mêmes les professionnels de santé qui viennent travailler chez eux, et qui prennent en charge la contractualisation et la rémunération des missions. Souvent, ils font appels à leurs propres employés volontaires.
Que dit la loi?
Légalement, les professionnels de santé peuvent faire des vacations ou des heures supplémentaires tant que le quota d’heures légales hebdomadaire n’a pas été atteint et qu'ils respectent leur temps de repos réglementaire.
La fonction publique impose un repos quotidien de 12h minimum, et limite la durée d’heures travaillées en continu par jour à 9h pour les équipes de jour et 10h pour celles de nuit, bientôt 12h au premier janvier 2024. La durée hebdomadaire de travail ne peut quant elle pas excéder 48h au total par semaine.
Dans le privé, les salariés ne peuvent pas travailler plus de 10h par jour ou 48h par semaine. Ils doivent également bénéficier chaque semaine d’au moins 24 heures de repos consécutives.
Il arrive cependant que ces quotas horaires soient exceptionnellement dépassés suite à un accord collectif ou une dérogation, lorsque les contraintes d’exigence de continuité du soin l’imposent.
En cours, pourtant, des propositions de revalorisation
Les soignants vont bénéficier d’une légère revalorisation de leur rémunération à partir du 1er janvier 2024, qui doit contribuer « à renforcer l’attractivité » des métiers de l’hôpital, avait fait savoir le 31 août Élisabeth Borne lors d’un déplacement au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen.
La rémunération du travail de nuit sera majorée « de 25 % pour les aides-soignantes » et « les infirmières », a affirmé la cheffe du gouvernement à des journalistes. « Pour une infirmière à mi- carrière, ça représente 300 € supplémentaires par mois », a affirmé la Première ministre. « L’indemnité pour travail du dimanche » et des jours fériés va progresser de 20 % le 1er janvier 2024. « Pour les médecins, on va pérenniser l’augmentation de 50 % des gardes qu’on avait expérimentée depuis l’été dernier », a ajouté Élisabeth Borne. Cette mesure va être étendue « à tous les médecins, aussi bien du public que du privé ». La permanence de soins est « une mission de service public pour répondre aux besoins de soins non programmés aux heures de fermeture habituelles » de certains professionnels de santé (médecins, pharmaciens, dentistes), explique le site des Agences régionales de santé (ARS). Selon la Première ministre, les différentes mesures doivent présenter un coût annuel de 1,1 milliard d’euros.
Focus sur les médecins "mercenaires" de l'intérim
Depuis le 3 avril, l’article 33 de la loi Rist sur le contrôle des plafonds de rémunération de l’intérim médicale est appliqué. Depuis la crise Covid, le recours aux soignants intérimaires n'a cessé de progresser. En 2021, en effet, le coût de l’intérim médical pour les hôpitaux s’est élevé à 359 millions d’euros, selon le ministère de la Santé. Au plus fort de l’épidémie de Covid, mais aussi après la crise sanitaire, alors que l’hôpital public manquait de bras, certains professionnels de santé intérimaires ont profité d’un effet d’aubaine pour faire monter les enchères et se faire payer des rémunérations entre 3 000 et 5 000 euros pour 24 heures ..., là où des jeunes praticiens hospitaliers touchent 4 500 euros pour un mois entier de travail, pour un temps de travail non défini.
L'actuel plafond de rémunération est de 1 170 euros par 24 heures pour les médecins intérimaires.
Cependant ces médecins "mercenaires" travaillent peu et ont beaucoup, c'est un euphémisme, de repos compensateurs.
En pratique au CHG de Périgueux
Pour ce qui est de l'hôpital de Périgueux, adepte de ces nouveaux process, la limite est actuellement de deux "hublo" par mois et par personne volontaire, alors que les derniers mois, c'était sans limitation... La procédure est ouverte aux infirmier(e)s à raison de 50€ brut/heure le jour, jusqu'à plus de 70 €/heure la nuit, selon le grade et l'ancienneté, et à 30€ brut/heure pour les aides-soignants(e)s. Ces sommes sont non imposables.
"Travailler plus pour gagner plus" disait Nicolas Sarkozy dans sa campagne présidentielle de 2007, symbolisant la volonté du candidat de remettre en cause les 35 heures et de « libérer » le travail des salariés afin d'augmenter leur pouvoir d'achat. Certes mais... attention, ici la sécurité des patients est en jeu. Il ne s'agit pas de gestion de matériel.
Une infirmière volontaire aux Urgences peut augmenter ainsi son salaire mensuel en travaillant deux nuits supplémentaires par mois soit un supplément appréciable sur son salaire de 1 400 euros. Si elle travaille, de plus, comme pompier volontaire, sur son temps de repos, ce qui est le cas de nombreux personnels des urgences ou de réanimation, elle perçoit aussi une indemnité (entre 8 et 13 euros/heure) pour cette mission.
L'ensemble de ces indemnités (vacations "hublo" et indemnités "sapeurs pompiers volontaires") sont défiscalisées car il s'agit de missions reconnues de "service public".
S’il faut donc bien déclarer toutes les heures supplémentaires travaillées (y compris celles des vacations), celles-ci sont exonérées d’impôts jusqu’à 7 500€ net/an pour les revenus de l’année 2023 (qu’il faudra déclarer en 2024). Cela signifie que si les heures supplémentaires accomplies au cours de l’ensemble des missions réalisées en 2023 représentent moins de 7 500€ net, vous ne paierez aucun impôt dessus. Si en revanche vous dépassez les 7 500€ net d'heures supplémentaires, vous paierez des impôts sur les sommes qui excèdent ce montant (Exemple : si vous atteignez les 8 100€ net d'heures supplémentaires grâce notamment aux missions Hublo, le montant imposable se limitera à la somme de 600€).
Début de la dérive lors de la campagne de vaccination covid
La vacation forfaitaire de vaccination concernant les personnels de santé, en activité ou retraités, était rémunérée "grassement" à hauteur de 420 € la demi-journée ou 105 € de l’heure si présence de moins de 4 h. Les samedis après-midi, dimanches et jours fériés, la vacation forfaitaire était portée à 460 € la demi-journée (ou 115 € de l’heure si présence de moins de 4 h).
Ces indemnités sont devenues en juin 2021 non soumises à l'impôts.
Leur montant n'a pas été plafonné mensuellement laissant chaque "volontaire" libre de sa disponibilité et ainsi sur une vingtaine de demi journées mensuelles (20 hures par semaine), le médecin pouvait prétendre à une indemnité de plus de 8 000 euros non imposable.
Cette vacation devenait, là encore, plus lucrative que les honoraires du médecin qui travaillait quotidiennement dans son cabinet... pour plus du double d'horaires de travail et moins de la moitié de revenu, une fois déduit son impôt! Un sentiment d'injustice et d'iniquité pour les médecins de terrain, exposés quotidiennement au risque épidémique.
Des problématiques d'inégalité se posent face à cette situation
C'est à la fois des questions sur la gestion des ressources humaines hospitalières et, au-delà, sur la résonnance de cette ouverture de la défiscalisation, acceptée pour certains dans le public et refusée à d'autres en libéral!
Hôpital:
Certes l'hôpital manque de personnel, mais ces énormes budgets "open" ne devraient ils pas être orientés vers de l'embauche de nouveaux agents ou une meilleure rétribution des actuels personnels, même au prix d'une légère augmentation des horaires de travail pour mieux répartir la "manne" financière?
Comment ces écarts de salaires sont-ils perçus par les catégories qui ne peuvent en bénéficier, comme les secrétaires ou les ASH, par exemple?
Combien d'arrêts de travail par épuisement et burn-out, ou des risques d'accident par manque de repos compensateur vont en être la conséquence dans les prochains mois, dans ces métiers exigeants et sous tension?
Quid de la vision de la médecine du travail sur ces situations ? En fin de publication, un document officiel provenant du ministère du travail sur l'analyse du surmenage professionnel et cet extrait du Vidal, la "bible" des médecins que je partage avec le lecteur:
L’épuisement professionnel, également appelé burn out, est un trouble psychique résultant d’un stress chronique dans le cadre du travail. Il se développe progressivement chez certaines personnes exposées à des conditions de travail frustrantes et démotivantes : face à la fatigue, au sentiment d’échec et aux difficultés de concentration, celles-ci tendent à travailler toujours davantage pour essayer de retrouver satisfaction et confiance en elles. Si les conditions de travail restent difficiles, un cercle vicieux s’installe jusqu’à l’épuisement.
Quid d'un possible accident du travail sur le temps "hublo" alors que le salarié devrait être dans un nécessaire repos compensateur?
Comment ensuite justifier, quand temps normal, un salarié refuse de revenir travailler en cas d'absence imprévue d'un de ses collègues, sur appel de son cadre, alors qu'il est aisément disponible sur un temps "hublo" mieux rémunéré?
Inversement, ne peut-on imaginer des aménagements "arrangés" des plannings de travail et des repos hebdomadaires par le cadre responsable qui souhaiterait favoriser, pour l'intérêt de son service, la participation "Hublo" d'un de ses agents "très volontaire" au détriment d'un autre peu intéressé?
Quid d'un salarié du privé (clinique par exemple) qui complèterait son salaire en faisant des temps "hublo" au Centre Hospitalier de Périgueux alors qu'un agent du Centre Hospitalier de Lanmary, annexe du CHG, se verrait refuser cette possibilité d'intérim ?
D'ailleurs, sommes nous amenés à privilégier maintenant des intérimaires extérieurs car moins couteux dans le cadre des contrats "hublo" que les propres personnels de l'hôpital?
Quant est-il du cumul des heures supplémentaires de certains agents dont l'hôpital diffère le paiement ... faute de crédits alors qu'il règle "rubis sur l'ongle" les "hublo"?
Médecins libéraux:
Pourquoi cette défiscalisation pour mission de service public, pourtant demandée aussi par les médecins généralistes, au-delà d'un certain seuil d'activité, n'existerait pas pour ceux qui accepteraient de recevoir des patients supplémentaires sans médecin traitant, ceux qui seraient Maitre de Stage, ceux qui réaliseraient la PDSA?
Pour rappel, notre proposition dans nos interventions auprès des élus et des ministères était encore ces derniers mois:
Une défiscalisation des missions de service public notamment la PDSA (garde) et la rémunération de Maitre de Stage, ainsi que les actes liés à la prise en charge, au minimum de 200 patients supplémentaires, au-delà des 1 000 premiers patients, pour tous les médecins installés et pour l’ensemble des actes effectués les trois premières années pour de jeunes installés en zones déficitaires. Mesures simples et justes car le médecin, au delà de soin travail de base, assure souvent une mission de service public.
Actuellement, pour les gardes médicales libérales (PDSA) dans une zone déficitaire*, les consultations ne sont imposables que sur le tarif de base de la consultation de médecine générale (G, VG et IK), le forfait d'astreinte comme les majorations appliquées au tarif de consultation sont exonérées. Pourquoi la mission de garde régulée des médecins généralistes libéraux effecteurs n'est-elle pas aussi défiscalisée sur l'ensemble du territoire national alors qu'il s'agit bien d'une mission de service public que le territoire soit en tension ou pas ?
* En toute transparence, l'état des lieux actuels:
Médecin généraliste de garde sur le terrain Par extension, il est admis que la condition d’exercice dans une zone déficitaire est remplie lorsque le secteur pour lequel le médecin est inscrit au tableau de permanence comprend au moins une zone urbaine ou rurale déficitaire en offre de soins.
Pour mémoire le forfait d'astreinte du médecin effecteur de terrain qui assure la garde est de 65 euros de 20 à 24h, de 195 euros de 12h à 24h le samedi et 260 euros le dimanche de 8h à 20h.
Médecin généraliste régulateur au centre 15
En outre, il est admis que les rémunérations perçues par les médecins libéraux régulateurs qui participent aux gardes médicales de régulation peuvent être exonérées d’impôt sur le revenu, si leur secteur de régulation comprend au moins une zone urbaine ou rurale déficitaire en offre de soins, ce qui est le cas de tous les régulateurs du centre 15. La rémunération pour la participation à la régulation médicale téléphonique est de 80 € par heure de régulation, majorés d'une indemnisation des frais de trajet (0,62 €/km) et du temps de trajet (80 €/h).