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Handicap-1: quid de nos ESAT, se transformer ou disparaitre?

Petite série de trois publications sur le handicap. Trois problématiques très différentes.


Quatre questions sont posées aux gestionnaires de ces établissements depuis quelques années, mais prégnantes aujourd'hui:

  • Les personnes en situation de handicap sont-ils des travailleurs comme les autres?

  • Leurs salaires sont-ils le reflet de leurs activités ou sont-ils insuffisants?

  • Les missions de nos ESAT sont-elles pertinentes et encore d'actualité?

  • Si oui, comment les financer dès 2024 et surtout à partir de 2025, si l'Etat change les règles sans moyens alloués supplémentaires?


Les ESAT (Etablissements et services d’aide par le travail), au nombre de 1 400 en France, sont des lieux d’accès au travail, essentiels pour plus de 120 000 personnes en situation de handicap.


Ces structures sont très nombreuses particulièrement en Dordogne offrant 823 places au total pour des travailleurs porteurs de handicap mentaux. (Cf situation du handicap en Dordogne en 2021 en annexe).


Dans ces établissements et services, les travailleurs sont encadrés et accompagnés, pour que leurs besoins spécifiques soient pris en compte. C'est l'Etat, les départements, l'ARS, les dirigeants associatifs, les élus, les familles, les professionnels de terrain, les partenaires qui unissent leurs efforts et travaillent au quotidien pour conserver un cadre de travail humain, sécurisant et bienveillant pour ce type particulier de salariés fragiles. Depuis 2013, des tensions existent avec un moratoire empêchant la création de nouvelles places pourtant nécessaires dans de nombreux domaines du handicap.


Dans la continuité du plan de transformation des ESAT, la loi pour le plein emploi du 18 décembre dernier apporte des avancées concrètes et justes en ce qui concerne le rapprochement des droits des travailleurs en situation de handicap avec ceux des salariés. Le remboursement des frais de transports publics, une augmentation des jours de repos, un doublement de salaires le dimanche et les jours fériés, l’accès aux titres restaurants, aux chèques vacances et la prise en charge à 50% de la couverture complémentaire collective vont améliorer la situation de ces travailleurs, l'élection d'un délégué du personnel, une amélioration de la formation professionnelle... tous sujets nécessaires.

L’augmentation de la part de rémunération directe, dévolue à l'ESAT qui est envisagée, à hauteur de 15% du SMIC au 1er janvier 2025, devrait également contribuer à l’amélioration de leur statut, mais pas forcément de leurs revenus.  


Ces évolutions qui garantissent des droits nouveaux aux travailleurs d’ESAT, sont salués par les organisations en charge du handicap car elles les réclamaient depuis de nombreuses années. Dont acte. Cependant, pour être pleinement effectifs, ces nouveaux droits supplémentaires doivent être accompagnés de moyens financiers compensateurs sinon ils risquent de mettre en danger le modèle économique de ces établissements.

Avec le financement de ces nouveaux droits, la majorité des ESAT risque de se retrouver en situation de déficit, alors que ce modèle est le seul qui permette l’emploi des personnes handicapées nécessitant d'importants besoins d’accompagnement.

Il y a des risques insidieux et non encore mesurés à modifier cet équilibre :

  • De sélection des travailleurs à l’entrée des établissements pour assurer une plus grande productivité ;

  • De fermeture des ateliers les moins rentables, alors qu’ils sont généralement les plus accessibles aux travailleurs les moins autonomes dans leur travail, tels les ateliers conditionnement ;

  • Que la productivité demandée aux travailleurs soit plus importante, au détriment des temps consacrés aux activités de soutien, de formation, et à l’accompagnement des travailleurs dans leur parcours vers le milieu ordinaire de travail.

  • C'est aussi le risque pointé par des parents de déficients intellectuels de voire leur enfant licencié plus facilement dans une entreprise ordinaire


Historiquement, ces personnes ont été sorties des hospices et de hôpitaux psychiatriques pour leur procurer un travail (ESAT) et leur offrir des structures d'accueil: MAS (Maison d'Accueil Spécialisées) pour la grande dépendance, foyers occupationnels ...

Ils ne représentent que 12% des personnes handicapées en situation d'emploi. 92% ont des pathologies lourdes et sévères sur le plan intellectuel ou mental. De plus, elles ont souvent des pathologies associées et sont pour beaucoup vieillissantes.


La convention des Nations-Unies, ratifiée par la France en 2010, semble pourtant faire de la suppression des établissements accueillant des handicapés, un de ses mantras. Supprimer les ESAT dans le cadre du fantasme d'une politique plus inclusive a été un échec en Angleterre il y a 13 ans... La plupart des personnes n'ont pas été recrutées dans des entreprises ordinaires et sont revenues ... au domicile. Imaginez, alors, la complexité de gestion pour des parents et des familles vieillissantes.

Le modèle français, diversifié, voulu par le monde associatif, porté initialement par des familles regroupées en association reste un succès. Pourquoi le casser ?

Cela résulte d'une politique portée en France par Madame Sophie Cluzel, ex secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées de 2017 à 2022, sous la première présidence d'Emmanuel Macron. Elle s'est confiée, d'ailleurs, sur sa fille Julie, trisomique, aujourd'hui autonome et insérée dans la société, mais tous les enfants ne sont pas comme sa fille et son exemple personnel doit être étendu avec beaucoup de prudence.

Elle soutenait, mordicus, une « société inclusive » pour les personnes handicapées et avait publié un texte dans ce sens dans la Fondation pour l'Innovation Politique en avril 2019, actant la fermeture des ESAT et renvoyant les personnes chez elles...

"J'aimerais lui présenter toutes ces personnes très dépendantes, tous ces parents qui prennent des boulots à temps partiel, parce qu'ils ne trouvent pas de place en IME (Institut Médicoéducatif) et doivent assurer des rendez-vous chez des para médicaux ou de spécialistes", disait Gérard Zribi, psychologue et auteur d'un ouvrage en 2019 "L'avenir du travail protégé".


La notion de "besoin particulier" utilisée jusque là est jugée à l'international comme discriminatoire... De nombreuses terminologies sont bannies au nom du politiquement correct. Comme si des nouvelles appellations faisaient disparaitre le handicap et la vulnérabilité, malheureusement bien réels!


Tout cela est conforté par un rapport de l'IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) de mai 2021, qui, au nom de la désinstitutionalisation, transforme les ESAT en centres d'évaluation, d'entrainement au travail, d'orientation et de séjour de répit. La réforme s'inspire d'une tarification à l'activité (T2A) déjà à l'œuvre de manière "dramatique", comme chacun le sais aujourd'hui, dans les hôpitaux, incitant à faire des prestations plus cotées et concurrentielles entre services... Ce pseudo libéralisme idéologique est contraire à la philosophie du combat initial militant des associations gestionnaires.

La prise en charge du handicap doit rester dans le cadre d'une économie sociale et solidaire au service des personnes et de leur droits. Les ESAT assurent la solidarité nationale envers les personnes atteintes de handicap et nécessitent des moyens financiers supplémentaires pour il est vrai mieux rémunérer leurs ouvriers, et pérenniser une des meilleurs solution d'inclusion dans les entreprises du médico-social.


 

Ressources d'un jeune handicapé avec une invalidité de plus de 80% (trisomie 21) travaillant en ESAT


La décomposition de ses ressources mensuelles est la suivante A + B + C :

A - Rémunération garantie: 

  1. Part de l'ESAT à hauteur minimale de 5.1% du SMIC, jusque là, portée à 10% au 01/01/24 et 15% ensuite à compter du 01/01/25, avec les charges sociales afférentes (CPAM, AT, Retraite, Allocation familiales, CSG-RDS) majorées par la cotisation chômage (UNEDIC) qui n'existaient pas actuellement car ces travailleurs ne dépendaient pas, jusqu'à aujourd'hui, du Code du Travail

  2. Aide au poste financée indirectement par l'Etat, qui ne peut être supérieure à 50% du SMIC: Règles de calcul ci-dessous

FICHE DE PAYE MENSUELLE 1 + 2

Commentaires :

  • Souvent, la part ESAT est calée au minimum, soit 5 % parfois 15 ou 20% du SMIC. La Rémunération Garantie n’est alors que de 55 à 70 % du SMIC. La productivité de l’ESAT et la compétiti­vité de ses produits reposent ainsi sur des salaires peu élevés.

  • De la même façon, La retraite des ouvriers des ESAT étant calculée sur la base de la Rémunération Ga­ranti­e, assez souvent 55 à 70 % du SMIC, elle sera donc elle aussi indécente… Le travailleur han­di­capé, lorsqu’il prendra sa retraite, peut se retrouver sans famille du fait de l'âge de ses parents, sans revenu thésaurisé et en sera réduit au Mi­nimum Vieillesse.

  • Le SMIC net au 01/01/24 est de 9.23€ / heure net soit 1 398.69 mensuel net, ici il est de la moitié soit 4.41 euros/heure net.

  • Si la part ESAT augmente, l'aide au poste stable, l'ESAT devra payer plus de charges et rajouter la cotisation à l'UNEDIC.

B - Compléments de ressource:

3. Allocation Adulte handicapé (AAH) qui est est calculée par rapport au montant de la rémunération garantie. Selon les ressources, l'AAH est versée en totalité pour ce type d'invalidité (971 euros) ou partiellement. Le montant du cumul avec la Rémuné­ration Garantie ne doit pas excéder 100 % du SMIC brut calculé pour 151,67 heures. Ce pourcentage est majoré de 30 % lors­que l'allo­cataire est marié, pacsé ou vit en concubi­nage, et de 15 % par enfant ou ascendant à charge.

4.  Prime d'activité versée par la CAF, du fait des faibles revenus. Les revenus d'activité (1+2) sont pris en compte à hauteur de 62% (abattement de 38%) pour le calcul de la Prime d'Activité.


C - Primes:

5. Prime d'intéressement annuel aux résultats d'exploitation de l'ESAT. Le montant de la prime est limité à un plafond égal à 10 % du mon­tant total annuel de la part ESAT de la rémunération au cours de l'exercice concerné. Cette prime doit apparaître sur le bulletin de paie. Elle est assujettie aux versements des cotisations sociales, mais ne donne pas lieu à compensation par l'État. La prime n'entre pas en compte dans le calcul de l'AAH de manière à éviter que le gain résultant de son verse­ment ne soit neutralisé

RESSOURCES TOTALES MENSUELLES 1+ 2 + 3 + 4 + 5


7 remarques sur cet exemple et l'application de la nouvelle loi

Un impact pour le travailleur handicapé

  • Si on augmente la part ESAT à 15% au lieu de 5%, l'AAH va être d'autant plus réduite

  • Si on augmente la part ESAT au delà de 20% , aide au poste va être réduite

  • l'AAH, n'est pas imposable mais le reste des revenus l'est, donc cela peut impacter certaines familles, de voir augmenter leurs revenus et diminuer la part non imposable

  • La prime d'activité va baisser si le revenu (hors AAH) augmente.

  • Selon, le cas , il peut exister une réduction substantielle de l'Allocation Logement

Un impact pour l'ESAT

  • L'aide au poste financée par l'Etat reste à priori constante, voire diminue au grand dam des gestionnaires des ESAT, qui n'ont pas les moyens actuellement de financer ces sommes supplémentaires sauf à augmenter leurs marges commerciales de vente de leurs produits.

  • Un risque de mise en difficulté de l'ESAT sur le plan financier, voire dans certains cas une fermeture


 

Chiffres clés du handicap en Dordogne - 2021

 

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