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Conversons avec nos morts.

Quand Halloween, ancienne fête païenne marketisée, alimente la peur et les caries chez les enfants, la Toussaint, pour nous français, nous permet de converser avec nos morts. A chacun ses traditions.

Pour mémoire, Halloween est une fête celte, dont les origines remontent à 2 500 ans. Les celtes célébraient, selon un calendrier lunaire, la fête de Samain, fin octobre. Ils pensaient qu'au cours de cette nuit, les frontières entre le monde des morts et celui des vivants étaient ouvertes et ils revêtaient des costumes effrayants pour éloigner les mauvais esprits des morts qui remontaient à la surface pour emporter quelques vivants.

Cette tradition païenne a perduré en Irlande, Pays de Galles et Ecosse, puis a été exporté aux Etats-Unis et au Canada par les migrants irlandais vers 1850. Les premières lanternes à base de citrouille sont apparues en 1920. Leur signification première était d'effrayer les morts associé à un tribu à payer aux prêtres, symbolique revisitée pour devenir plus tard le fameux "un bonbon ou un sort".

La fête d'Halloween est aujourd'hui célébrée principalement en Irlande, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. L'américanisation rampante et la "marketisation" via Disneyland a fait le reste pour de nombreux autres pays.


Lancée en Europe par des marchands de masques, de farces et attrapes, avec quelque chose de plutôt artificiel et qui a assez bien fonctionné au début; à partir de 2002, il y a eu un déclin de la fête parce que, d'une part, cela ne correspondait pas aux attentes des Français, et parce que les marchands ont insisté sur le côté vraiment "gore" et camelote, qui finalement n'existe plus aux USA où elle reste plutôt une fête villageoise et communautaire. Une "festivation" à outrance, un peu déplacée!


Il existe en France, une concurrence entre Halloween (31 octobre), la Toussaint (1er novembre) et la fête des morts (02 novembre) qui est juste après. Il y a une permanence de la pratique du déplacement de 35 millions de Français au moment de la Toussaint dans les cimetières, qui s’est faite au détriment d’Halloween.


Je souhaitais partager avec vous cet article de Damien Le Guay, publié le 31 octobre 2016 dans le FigaroVox/Tribune qui interroge sur notre société. Comme chaque année, Halloween se prépare. Le philosophe Damien Le Guay* dénonce dans son analyse une fête commerciale qui attise les peurs, notamment celle de la mort, à un moment où la société est plus fracturée que jamais, c'était il y a 7 ans, après les attentats du Bataclan et de Nice, survenus quelques mois auparavant. Nous n'avons rien changé depuis lors. Son analyse reste d'actualité encore aujourd'hui.


*Philosophe, Damien Le Guay est président du Comité national d'éthique du funéraire, membre du comité scientifique de la SFAP et enseignant à l'espace éthique de l'AP-HP. Auteur de nombreux essais, il a notamment publié La face cachée d'Halloween (Le Cerf, 2002) ; La cité sans Dieu (Flammarion, 2010) ; Le fin mot de la vie - contre le mal mourir en France (Le Cerf, 2015) et Les morts de notre vie (avec Jean-Philippe de Tonnac, Albin Michel, 2015).


Nous commémorons différemment la mort dans nos diverses cultures, deux exemples ci-dessous, très éloignés l'un de l'autre, pourtant sur le même continent, à des époques évidemment distantes. C'était au Pérou il y a encore 500 ans et de nos jours au Mexique, où les festivités sont joyeuses.


Son article:

Cette année encore, partout et plus seulement aux USA, la nuit d'Halloween se prépare. Les médias se disent d'être au rendez-vous des morts-vivants. Les "peoples" s'enlaidissent déjà et nous demandent de les imiter. Les mairies elles-mêmes, pour justifier de leur activisme en farce d'agitations culturelles et attrape-couillons, font, pour les enfants, des séances de maquillages sanguinolents. Tous souhaitent, avec une insistance comminatoire, que, ce soir, nous soyons moches à faire peur, laids à s'effrayer les uns les autres, grimés avec des bouches recousues à la Frankenstein, des yeux noirs et partout une profusion d'hémoglobines. Les cervelles dégoulinantes sont de retour dans nos rues, ainsi que les squelettes fluorescents et les têtes d'abrutis moribonds. À la nuit tombée, il nous faut attendre, de pied ferme, les enfants aux chapeaux pointus et à la mine de Cruella d'enfer. On va les obliger, tout en rigolant, à exercer sur les adultes un méchant chantage : soit des bonbons, soit un sort. Un mauvais chantage pour un mauvais sort, bien entendu ! Ce serait dommage de leur apprendre la gentillesse de proximité, la bienveillance éducative ou le savoir-vivre qui demande sans exiger et remercie ses voisins, après avoir reçu un bonbon, sans les vouer aux gémonies. Le mot d'ordre du jour et de la nuit : cultivons la peur et effrayons-nous tous ensemble. Mais, pour rire, bien entendu. Ah oui, pour rire ! Journée de la peur bleue, nuit des rires jaunes. Fêtes pour se marrer en claquant des dents !


N'avons-nous pas eu assez peur cette année ? Ne devons nous pas, toujours et encore, vivre avec toutes ces peurs dans l'attente (quand ?) du prochain attentat ?


Ce passe-temps d' »homo-festivus » désœuvré et de people en mal de notoriété est, de toute évidence, inapproprié. Il l'est depuis plusieurs années, depuis que les Français se sont rendus compte du caractère artificiel et marchand de ce divertissement glauque. Il l'est encore plus cette année, après tous les épisodes terroristes que nous avons connus. Non, le spectacle du Bataclan, même avec le groupe parodique «Eagles of Death Metal», n'était pas, le 13 Novembre dernier, un épisode d'Halloween! Non, la fête du 14 juillet 2015, à Nice, était certes une réjouissance nationale mais surtout une tragédie effroyable ! Non le Père Hamel, durant la messe, n'est pas mort de rire, mais fut égorgé comme un animal à l’abattoir ! N'avons-nous pas eu assez peur cette année ! Ne devons nous pas, toujours et encore, vivre avec toutes ces peurs dans l'attente, (quand ?) du prochain attentat ? Alors faut-il en rajouter ?

Avons-nous besoin de voir partout du sang (même faux), des corps ensanglantés (même si les blessures sont factices) ? Non.

Ce surcroît de peur et ce débordement d'hémoglobine sont absurdes. Trop c'est trop ! L'état d'urgence devrait aussi être, dans nos cités, un état d'urgence de paix, pour éliminer, le plus possible, nos toxines sociales et embryons d'inquiétudes cancéreuses. Apprenons à nous mieux connaître entre voisins, plutôt qu'à nous craindre. Soyons ensemble bienveillants, et n'envoyons pas des escouades de gamins menacer les autres de « mauvais sorts» - comme si nous n'en avions pas eu assez cette année. Et si, pour cette fête, ce jour, cette nuit, nous quittions les chants des sorcières aux doigts crochues pour la dernière chanson de Lynda Lemay quand elle nous dit, avec émotion, après tous ces attentats terroristes : «Je veux pas que tu maigrisses du cœur, en suivant des régimes de peur». Comme elle a raison ! Nous risquons collectivement l'embolie cardiaque. Il nous faut du repos pour éviter une atrophie civique, un repli haineux, une guerre civile. Nous avons besoin « d’un régime de dilatation du cœur» et non un nouveau «régime de peur».


La mort est chose trop sérieuse pour être confiée à des publicitaires qui promeuvent des fêtes permanentes sans raison autre qu'elles-mêmes.


Et puis, nos experts en festivités marchandes, qui vendent leurs soupes à la grimace sous couvert d'analyses sociales, disent qu'il est bon ainsi, pour les enfants, avec la vue tous ces moribonds qui n'en sont pas, d'apprivoiser la mort. En voir de faux permettrait d'avoir moins peur des vrais. Toutes ces bêtises ânonnées semblent évidentes. Il n'en est rien. La mort est chose trop sérieuse pour être confiée à des publicitaires qui promeuvent des fêtes permanentes sans raison autre qu'elles-mêmes - ainsi qu'elles avaient été prédites par Philippe Muray. Ces promoteurs festifs ne disent rien de la fête de la Toussaint et pourtant elle est la plus grande réunion sociale en France. Ils la passent sous silence - et avec eux les médias.

Mieux vaut promouvoir les citrouilles en folie que le calme recueilli des cimetières.

Or, année après année, les Français ne s'y trompent pas. Même oubliée par l'agitation médiatique, la Toussaint (confondu avec «le jour des défunts») est l'occasion, chaque année, d'une gigantesque migration des Français sur la tombe de ceux qui demeurent, pour nous tous, «nos chers disparus». Ils se déplacent en masse et leurs déplacements ne sont pas repérés par les radars médiatiques. Que nous disent les statistiques ?

Durant ces journées d'hommages, 35 millions de Français se déplacent. 35 millions. Et durant ces jours de commémoration, de fidélité par-delà la mort, 25 millions de pots de fleurs et de bouquets de fleurs sont vendus et déposés dans les cimetières. 25 millions.

Tout ceci donne la mesure de l'événement que nous sommes en train de vivre : un immense pèlerinage vers les territoires de nos morts, le besoin impérieux de traverser la France s'il le faut pour aller jusqu'aux portes de nos cimetières. Les Français savent qu'ils doivent, loin des fantômes halloweenesques, rejoindre la vraie maison de leurs vrais morts, qu'ils doivent fleurir les tombes, converser avec leurs parents (et non menacer qui que ce soit d'un « mauvais sort»), converser avec ceux à qui ils doivent tant. Une conversation doit se poursuivre. Ils le savent, d'un savoir plus puissant que les agitations médiatiques. La mémoire de nos morts est enfouie en chacun nous. L'appel des cimetières se fait entendre plus puissant que tout. Toujours et encore il nous fait dire notre gratitude à l'égard de ceux qui nous ont aimés et que nous aimons toujours en retour - et ce d'une autre manière. Une fleur, une pensée, une prière, un moment de silence, un souvenir ému, des paroles. Toujours et encore ces signes d'allégeance vis-à-vis de nos anciens, de nos disparus. Un mot, un long moment de recueillement, une prière ou deux, un signe de croix, des fleurs déposées, des gorges nouées, l'évocation de ceux qui nous ont quittés, des souvenirs partagés. Toujours et encore.


Pourquoi cette fidélité maintenue au-delà de la mort ?


Pourquoi cette fidélité maintenue au-delà de la mort? Car, contrairement à un certain idéal « moderne», nous ne sommes pas indifférents à nos morts et à la mort d'une manière générale. Nous ne voulons pas nous présenter devant eux et devant elle, indifférents, avec une conscience endormie et des émotions bloquées. Non. Face à la mort qui est là, dois-je nécessairement me taire pour ne gêner personne, ravaler mes angoisses, refréner mes inquiétudes, ne pas parler et ainsi quitter toute posture de regrets, de pardon ou de préparation à l'au-delà, et ne surtout pas m’examiner ? Non. Les Français refusent cet assoupissement béat ou ces fêtes morbides. Ils aspirent, avant tout, à la fidélité. Fidélité aux morts.


Fidélité à ceux que j'aime et qui m'aiment toujours, d'une autre manière. Tout est là. Le reste n'amusera personne - malgré la fête factice d'Halloween.



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