En lien avec l'actualité: les questions du choc des savoirs, de l'immobilisme social, de la réussite scolaire et du déterminisme géographique. Les mois de mai, même pluvieux échauffent toujours l'Education Nationale ...
Selon l’analyse encore d’actualité de Charles Péguy, même si la citation date de plus d’un siècle, la crise de l’enseignement actuelle est non pas une crise en elle-même, mais bien la conséquence des « crises de la vie sociale qui s’aggravent, se ramassent, culminent en crise de l’enseignement ».
De nombreux établissements sont en grève et les enseignants sont vent debout contre" le choc des savoirs": groupe de niveau en mathématiques et français en classes de 6ème et de 5ème dès la rentrée 2024/25 et 4ème et 3ème pour celle de 2025/26, la création de "classes prépas" en seconde si échec au brevet des collèges!
La solution va t-elle tirer vers le haut les élèves avec le plus de difficultés? Est-elle juste socialement? Sont-ce aux politiques de résoudre cette problématique ou aux profs? Solution provisoire en attendant mieux?
Des questions difficiles.
La solution ne passe t-elle pas par des classes plus petites (une quinzaine d'élèves) même si les niveaux sont hétérogènes comme cela a existé dans nos anciennes classes primaires où co-existaient trois tranches d'âges différentes et des niveaux de performance très différents, les meilleurs tirant vers le haut ceux qui avaient le plus de difficultés? Cela veut dire, dans ce cas, des profs plus nombreux! Avons-nous les moyens de ce recrutement et est-ce le choix politique actuel?
Des question incontournables.
Un constat triple
1- un niveau de performance en baisse
Le niveau des performances des élèves chute en 2023. La France est à la vingt-troisième place au PISA. Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation créée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui vise à tester trois des compétences des élèves de quinze ans : la lecture, les sciences et les mathématiques. Cette évaluation se déroule tous les trois ans et nous est défavorable bien que nous soyons attentifs à l’égalité des chances, principe fondamental de notre éducation à la française. L’enseignement par groupe de niveaux ne fonctionne plus car il ajouterait à la différence discriminante public/privé, la cotation des établissements les uns par rapport aux autres et la création d’une différence entre groupes d’élèves au sein même de la classe. Ces problématiques n’existent pas dans les pays en tête du classement. Des propositions de solutions existent pourtant.
L’Education doit être une politique essentielle, comme celle de la santé dans un autre domaine. Priorités nationales car elles ont en commun, toutes deux, des diagnostics et des remèdes ambitieux, parfois couteux mais obligés.
2- un enseignement privé attractif
Les classes dites moyennes ont développé des stratagèmes de contournement, qui pèsent de plus en plus sur leur budget familial, par crainte du déclassement car persuadées que l’école est le facteur déterminant de la réussite de leurs enfants.
Elles ont le sentiment que l’enseignement public est de plus en plus défaillant à l’image d’Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, épinglée dans une controverse médiatique public-privé au début de l’année 2024. Elle a inscrit ses enfants dans des écoles privés, comme gage de réussite. Mais c’est ce que font trois fois plus de familles françaises depuis ces trente dernières années, avec pour beaucoup de lourds sacrifices à la clé. Evidemment, rares seront ces familles devenues ministrables qui verront leur parcours, leur patrimoine et leurs habitudes exposés au journal de vingt heure.
Elle a failli certes, mais son exemple devrait nous faire réfléchir, toutes et tous. Il pointe un vrai problème. La mettre au pylori ne satisfait que nos plus obscurs sentiments et ne résout pas la catastrophe annoncée.
3- un déterminisme géographique et un immobilisme social
En Nouvelle Aquitaine, nous avons un des plus forts taux nationaux de bacheliers et pourtant un taux de poursuite des études supérieures parmi les plus bas des régions métropolitaines. Au-delà du coût prohibitif d’un logement dans une ville universitaire, la seconde explication est celle d’une mobilité compliquée, car hors du périmètre familial, vécue comme un handicap insurmontable par beaucoup de nos jeunes et aussi de leurs parents. Un manque d’attrait et un déterminisme géographique empêchent chaque jeune d’avoir un horizon dégagé, et ce, quel que soit son origine sociale.
Selon France Stratégie, le service de prospection rattaché à Matignon et l’Institut de Politique Publique (IPP), les origines, sociale d’abord et géographique surtout, pèsent très lourds dans les parcours scolaire et professionnel de nos jeunes. Adultes, quatre-vingts pour cent occuperont la même position sociale que leurs parents. En d’autres termes, un enfant de milieu défavorisé à deux à trois fois moins de chance d’obtenir un diplôme supérieur que le jeune issu d’une famille favorisée. C’est prouvé, le déménagement de la famille dans un département à haut revenus est un atout dans l’obtention d’un diplôme et l’accès des enfants à des études supérieures. Aujourd’hui, si vous ne venez pas des cinq ou six plus grandes métropoles ou de la région francilienne, vous avez en réalité vingt pour cent de chances de moins d’accéder aux filières les plus diplômantes et sélectives du pays selon Lisa Thomas-Darbois, directrice adjointe des études France à l’Institut Montaigne dans sa note intitulée « Classes moyennes, l’équilibre perdu ? ».
Pourtant en France, pas moins de cinquante dispositifs et la bagatelle de quinze milliards d’euros (chiffres 2022) sont dédiés à cette problématique dans un inefficace saupoudrage qui ne résout pas la mobilité sociale.
Des solutions existent: saurons nous les adopter?
Pour l’Education, cela passe, entre autres, par l’établissement de valeurs affirmées, celle du respect, de la détermination, de l’excellence et du retour à une verticalité républicaine pédagogique respectueuse des enseignants ; par le respect de l’image de l’élève vis-à-vis de ces pairs et des enseignants (la constitution de groupes de niveaux pouvant paradoxalement favoriser la ségrégation sociale car souvent ceux qui ont un problème d‘apprentissage des savoirs sont déjà ceux qui ont un problème d’exclusion sociétale ou de comportement) ; par la valorisation de l’attractivité du métier d’enseignant (formation initiale et préparation à la pédagogie, rémunération attractive, recrutement, carrière, statut) ; par l’égalité des chances et la priorité absolue à accorder, au début de la formation, aux plus petites classes celles des classes maternelles (c’est entre 2 et 3 ans que le cerveau du jeune enfant est capable d’acquérir les trois milles mots de base et le sens de la grammaire) et celle des classes élémentaires car c’est là que se forment nos citoyens de demain.
Ces jeunes en devenir ne baignent pas tous dans le même bain familial. Il fait leur inculquer l’envie d’apprendre et de comprendre. Cela passe par une prise en compte effectivement du niveau alarmant en français et mathématique de nos collégiens qui n’ont pas bénéficié d’un dédoublement des classes en primaire pourtant essentiel, comme c’est le cas en Estonie avant l’âge de quatorze ans, pays qui se classe septième au classement Pisa.
Des classes plus petites et des enseignants plus nombreux et mieux formés. Couteux mais efficace. C’est aussi une autonomie plus large donnée aux professeurs dans leur programme.
C’est une autonomie donnée aux établissements scolaires notamment en lien avec le monde de l’économie qui doit emporter une nécessaire adhésion des syndicats les plus conservateurs.
C’est une aide déterminée à la fin de l’autocensure des enseignants en difficultés face à la parole des élèves et à la contestation.
C’est aussi, peut-être, une révision nécessaire et forcément polémique des rythmes scolaires à l’image de ce qui se pratique en Grande-Bretagne par exemple.
Pour nos étudiants, ce sera l’investissement plus affirmé dans des logements dédiés et la multiplication des lieux de formations universitaires décentralisés. Ce sera aussi, la poursuite comme ce fut le cas ces dernières années d’un soutien à l’alternance avec un doublement des effectifs comme le fit Edouard Philippe en tant que premier ministre, en 2018, politique victime de son succès mais plébiscitée tant par les entreprises que pas les jeunes. Ce sera une attention soutenue pour les étudiants « internationalisés » évitant de générer, à la fois, une fuite de nos « cerveaux » et une vraie inégalité avec ceux qui restent : donnons-leur l’envie de rester et travaillons à des filières d’excellence débouchant sur des postes mieux rémunérés, car c’est souvent la raison de la fuite de nos ingénieurs et de nos chercheurs.
Un peu d'histoire: nous sommes les héritiers de mai 68...
Entre 1958 et 1968, le nombre de lycéens a doublé et le nombre d’étudiants a triplé. Dès 1967, plus de soixante pour cent des jeunes Français poursuivent leurs études au-delà de seize ans. Cette croissance met en évidence l’inadaptation des structures, exiguïté des locaux nécessitant une mixité nouvelle et des méthodes pédagogiques.
Plutôt que de se fixer, aujourd’hui, l’obligation probablement inégalitaire d’obtention du brevet des collèges pour accéder au lycée et la barre que quatre-vingt-dix pour cent d’une tranche d’âge chez nos lycéens obtenant le bac avec tous les « aménagements » que cet objectif politique peut amener, préférons l’objectif plus pertinent de soixante pour cent d’une classe d’âge avec un diplôme supérieur à échéance de huit à dix ans et le doublement sur la même période les formations en alternance pour les métiers les plus techniques.
Le révélateur fut donc mai 68 avec les bouleversements sociétaux induits par cette révolte et ce conflit générationnel politique, social et culturel. Ce fut la « libéralisation des mœurs », et au-delà, la contestation de la « vieille université », de la société de consommation, du capitalisme, du patriarcat, du paternalisme et de la plupart des institutions et valeurs traditionnelles.
Pierre Grappin, doyen de Nanterre et ancien résistant, est taxé de « nazi ». Le vocabulaire des pères est retourné contre eux. Mais, au-delà de la violence verbale, les manifestations se focalisent sur deux domaines : la liberté sexuelle et la liberté d’expression. La protestation contre la guerre au Vietnam attise par ailleurs une flambée de mobilisation, déjà en dehors des structures traditionnelles, agitant des groupes hétéroclites marxistes-léninistes, maoïstes et trotskystes.
Ils enclenchent le cycle provocation-répression-solidarité-mobilisation et étendent le domaine de la lutte particulièrement à la Sorbonne qui est occupée, puis fermée par le ministre Peyrefitte. Le Quartier latin s’embrase alors le 10 mai 1968, pour faire « table rase » du passé.
Bien évidemment des progrès étaient indispensables que ce soit en matière d’émancipation et de participation, de mixité, de libéralisation - bien que l’autorisation de fumer dans les cours d’écoles ne fut pas un réel progrès...
Georges Pompidou s’est trompé dans son analyse car il restait persuadé que la « crise de civilisation » de 68, était expliquée par « une sorte de désespérance de la jeunesse », provoquée par un excès de liberté…Tout nouveau bouleversement de l’école apparaît alors subversif.
Dès lors, les ministres de l’Education suivants adoptent une attitude plutôt immobiliste. Mai 68 a ainsi politisé les choix pédagogiques et conditionné les réformes à l’alternance politique.
Réformes éducatives suivant les évolutions culturelles, se poursuivent durant cette période que Pascal Ory a baptisé « L’entre-deux-mai » (1968-1981). Mai 68 a été le révélateur inévitable et le catalyseur des problèmes d’une jeunesse en pleine mutation. Mai 81, le fol espoir d’une nouvelle société, débarrassée de scories réactionnaires, qui allait diffuser dans le monde entier une économie plus égalitaire, plus en phase avec les justes aspirations populaires, celle d’une relance keynésienne inspirée du Programme commun de la gauche.
Après en 1982, une « pause dans les réformes », formule pour rassurer l'opinion publique, jadis utilisée par Léon Blum, le rêve rose a une fin, brutale… en mars 1983 avec le « tournant de la rigueur » qui perdurera dans une politique poursuivie par les gouvernements socialistes successifs, bien éveillés alors à la réalité du monde économique.
1968, pour en revenir à l’éducation, fut un contre-pied pédagogique dont on mesure aujourd’hui encore les conséquences. Ce fut bien la désacralisation de l’enseignant avec l’avènement insidieux du règne de l’enfant-roi. Les ravages de cette nouvelle pédagogie de transmission plus horizontale que verticale ont nivelé l’autorité, l’exemplarité, la capacité du récit historique.
Période déstabilisante, sur le plan des mœurs, nous sommes passés, de la liberté sexuelle post soixante-huitarde à une dictature puritaine en ce début de siècle, de l’apologie de la pédophilie, dans certaines émissions littéraires télévisées de l’époque, que l’on revisualise avec effarement aujourd’hui, à une proscription de la drague au point que le baiser d’un prince charmant à une princesse endormie, et donc non consentante, dans un ancien dessin animé de Walt Disney, passe pour une agression sexuelle dans l’imagerie Woke et que « Mary Poppins » est devenu, en Angleterre, un film classé PG, autrement dit à regarder sous la supervision d’un adulte… car comprenant des scènes ou des propos susceptibles de heurter les plus jeunes… En effet, le British Board of Film Classification (BBFC) estime désormais que certains propos tenus par l’Amiral Boom peuvent être jugés « discriminatoires » car qualifiant à deux reprises d’« Hottentots », deux ramoneurs couverts de suie, arguant que c’était un terme péjoratif utilisé par les colons européens pour désigner, jadis, les Khoïkhoïs, un peuple d’Afrique australe. Effectivement essentiel, plus de soixante ans après !