Une fois n'est pas coutume, je souhaitais partager avec vous cet article édifiant publié il y a une quinzaine de jour dans l'Humanité, qui analyse parfaitement les déviances de ce type de proposition.
Article l’Humanité - 7.12.23 - Nadège Dubessay
Elles sont censées lutter contre les déserts médicaux. Le syndicat des médecins généralistes MG France dénonce au contraire le coût élevé et l’offre de soin « dégradé » des plateformes de téléconsultation, alors que des espaces dédiés doivent être déployés dans 300 gares d’ici 2028.
La durée moyenne des téléconsultations sur les plateformes est de 4 minutes, selon une enquête de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Île-de-France.
Dans une pharmacie parisienne, une drôle de machine détonne. La borne blanche, au nom de Medadom, offre un écran où quelques outils médicaux s’affichent : un thermomètre, un stéthoscope, un dermatoscope… Le patient s’installe et peut faire son marché.
Depuis le Covid, ces dispositifs de téléconsultation ont poussé comme des champignons. L’engouement est tel que, récemment, la SNCF a annoncé un projet d’implanter des espaces de télémédecine dans environ 300 gares d’ici à 2028. Il s’agirait de lutter contre les déserts médicaux, nous explique-t-on.
« Consultez un médecin en ligne aujourd’hui », « Renouvellement d’ordonnance », « Évitez les déplacements et la salle d’attente »… Les techniques publicitaires des plateformes ont de quoi en inciter plus d’un. Une pilule oubliée ? Une mauvaise gastro ? Hop ! On télé consulte durant la pause-déjeuner, et le tour est joué. Les responsables politiques se frottent les mains. Enfin, la technologie va pouvoir pallier la chute des effectifs médicaux qu’ils n’ont su – ni voulu – enrayer.
Des dérives dangereuses
Seulement voilà, ici et là, les médecins généralistes alertent sur les dangereuses dérives de ces pratiques. Le syndicat des médecins MG France, en premier lieu, s’appuie sur les résultats d’une enquête de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Île-de-France, et s’élève contre ce qu’il considère comme un « mésusage du système de santé et des fonds publics ».
L’étude montre notamment que les téléconsultations « plateforme » ont été pratiquées à 82 % au bénéfice de patients de 16 à 39 ans, quand celles effectuées par les médecins libéraux ne les concernent qu’à 51 %. De plus, 90 % de ces consultations de plateforme le sont pour des patients n’ayant pas d’affection longue durée. En résumé, les utilisateurs sont urbains, jeunes, cadres et cadres supérieurs, et pas vraiment malades. On est bien loin de résoudre le problème des déserts médicaux ou celui de la démographie médicale en berne.
Le Dr Agnès Giannotti dénonce ce qu’elle nomme « une médecine dégradée ». La présidente de MG France s’explique : « Ces plateformes de téléconsultation, avec des fonds privés derrière, échappent à tout contrôle depuis que l’État a aboli les réglementations. Elles n’ont pas connaissance du patient, ni de son dossier médical, ni des examens cliniques. Les consultations sont extrêmement rapides : 4 minutes en moyenne. Je ne vois pas comment il est possible de faire du bon travail dans ces conditions. »
Des factures majorées
Au-delà de la cible, manifestement ratée, ces actes s’avèrent aussi très coûteux. Ainsi, selon la CPAM, 26 % d’entre eux sont facturés avec des majorations de nuit ou de dimanche. « Les majorations s’appliquent uniquement aux soins d’urgence, précise Agnès Giannotti. Or, ces plateformes facturent les nuits et le dimanche en soins d’urgence alors que ce n’est pas le cas. »
Et lorsque la CPAM diligente des contrôles sur ces facturations, comme ce fut le cas en Seine-Saint-Denis, le taux de 26 % chute miraculeusement à… 5,2 %, soit cinq fois moins, avec une récupération d’indus de plus d’un million d’euros par la seule CPAM du 93. Imaginez de tels contrôles partout, comme le réclame MG France : le pays compte 102 CPAM…
Déjà, en décembre 2022, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) révélait que la consultation à distance ne bénéficiait pas aux patients les plus éloignés géographiquement d’un médecin. Ni aux plus précaires. « Beaucoup de mes patients ne savent ni lire ni écrire », note Agnès Giannotti qui exerce à la Goutte d’Or, un quartier populaire de Paris.
Le nouveau dispositif de Ramsay propose pour 11,90 euros par mois, l’accès à un avis d’un praticien ou une réponse sur une question de santé, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 (dans la limite de 20 par an.
Ni elle ni ses collègues ne renient pourtant l’outil que représente la télémédecine, mais avec des limites. « Dans l’année, un médecin généraliste traitant réalise 4 % de ses consultations via le numérique, pour un résultat d’examen, par exemple, précise-t-elle. Mais il aura auparavant vu son patient physiquement, il connaît son dossier. La télé-expertise entre un médecin généraliste et un spécialiste peut aussi s’avérer utile. Dans tous ces cas, il n’y a de dérive d’aucun ordre. »
Agnès Giannotti le constate : les médecins généralistes fraîchement en poste peuvent facilement être tentés par les sirènes très lucratives de ces plateformes : 4 minutes de consultation pour un patient que l’on ne connaît pas et que l’on ne reverra pas.
Le bonus : pas besoin d’investir dans un cabinet, ni de payer du personnel. « Nous étions à l’abri de la financiarisation, ce n’est plus le cas », souffle-t-elle. D’où la nécessité, selon le syndicat des généralistes, de revaloriser urgemment la profession.